Vous êtes ministre du Climat depuis octobre 2020. Mais le climat concerne tous les ministres ! Quel est donc votre rôle?

Absolument. Pour pouvoir faire voler les avions, rouler les voitures, tourner les usines, nous faisons brûler des combustibles qui libèrent dans l’atmosphère des gaz à effet de serre qui vont envelopper la Terre comme une bulle, et qui vont rendre le climat plus chaud. Cela met à mal la vie humaine sur Terre. Heureusement, les scientifiques nous disent qu’il est encore possible de changer la tendance si nous changeons de comportements. Donc notre rôle est de regarder quelles sont les activités responsables des émissions de ces gaz à effet de serre, et d’essayer de revoir nos manières de faire.

Je pense, par exemple, à l’industrie. Aujourd’hui, quand on produit certaines choses, on consomme beaucoup d’énergie et on émet beaucoup de gaz à effet de serre. Je travaille donc avec mon collègue qui est responsable de la politique économique, pour voir comment on peut changer les méthodes de production pour qu’elles émettent moins de gaz à effet de serre.

C’est aussi, par exemple, réfléchir avec mon collègue et avec l’industrie pour voir comment on peut construire des voitures qui polluent moins, tout en voyant avec le ministre de la Mobilité comment nous pouvons offrir une alternative à la voiture. Pour cela, il faut plus de trains, qu’ils soient à l’heure, qu’il y ait plus de transports publics…

Et donc, comme ministre du Climat, c’est un peu comme si j’étais un chef d’orchestre. Je dirige un ensemble d’acteurs pour qu’on joue collectivement, que chaque musicien joue sa partition mais que l’ensemble soit cohérent. J’accompagne mes collègues dans les choix qu’ils font pour que ce soit les meilleurs pour l’environnement et le climat.

L’objectif, c’est de lutter contre le réchauffement climatique, ou de préparer la Belgique aux changements?

Il y a les deux. On ne peut pas continuer sur notre trajectoire. Et en même temps, certains dégâts sont tels qu’on n’arrivera pas à revenir en arrière et donc, il faut s’adapter pour pouvoir continuer à vivre dans des conditions correctes. La politique climatique marche donc sur deux pieds: la réduction des gaz à effet de serre, et l’adaptation.

Des décisions sont prises au niveau fédéral (du pays entier), dans les Régions, les communes… mais aussi à l’Union européenne et au niveau mondial ! Comment peut-on tout coordonner?

Le réchauffement climatique n’a pas de frontières donc ça ne fait pas sens qu’une commune prenne des mesures seules, ou même uniquement la Belgique, voire même uniquement l’Union européenne.

Donc, à chaque fois, l’échelle la plus large est importante pour que tout le monde fasse des efforts. Et puis après, les efforts se déclinent différemment en fonction du niveau de compétences: les communes ont des responsabilités différentes des Régions, du fédéral…

Par exemple, c’est la Région qui est compétente pour toutes les politiques liées à l’efficacité énergétique des bâtiments. On sait que certains bâtiments sont des passoires et pour réduire la consommation d’énergie, il faut accompagner les familles, les entreprises, dans l’isolation de leurs biens. Ça, c’est une compétence des Régions. À côté de ça, le gouvernement fédéral, comme propriétaire, prend des mesures pour isoler ses propres bâtiments et les rendre plus efficaces au niveau énergétique. Et puis au niveau local, les communes peuvent aussi prendre des mesures pour le climat. Chacun à son niveau fait les efforts qu’il peut et c’est l’addition qui fait qu’on y arrivera.

Au niveau mondial, il y a les COP sur le climat. Comment se passent ces grandes conférences (réunions)?

Les COP, ce sont les conférences des parties, donc les réunions annuelles de ceux qui ont signé un accord. Ici, il y a plus de 197 pays autour de la table pour se mettre d’accord sur des objectifs communs en matière de climat. Puis chacun dans son pays va traduire ces accords pour les mettre en oeuvre.

Alors comment ça marche? Il y a un pays qui est désigné comme organisateur. Lors de la dernière COP, en novembre 2022, c’était le continent africain qui devait organiser et ils ont désigné l’Égypte. Donc l’Égypte était présidente de la COP27. Mais moi, comme ministre belge, je n’ai pas directement rencontré la présidence égyptienne. C’est l’Union européenne qui portait la voix des États-membres. Donc, tous les jours, les 27 États-membres se réunissaient et discutaient des propositions que la présidence égyptienne mettait sur la table: Est-ce qu’on était d’accord? Est-ce que c’était assez ambitieux? Quelles réalités cela amenait pour chacun? Les inquiétudes des uns et des autres…
Donc, on se mettait d’accord sur une position européenne. Les représentants de l’Union européenne allaient ensuite négocier au nom de ses membres avec la présidence de la COP.
La présidence négocie donc avec différents groupes de pays et à chaque fois, fait évoluer les propositions qu’elle met sur la table jusqu’à ce qu’il y ait un consensus sur un texte final.

Les décisions de la COP sont-elles contraignantes (imposées, sous peine de sanction) ?

Non, c’est une des difficultés. Il n’y a pas de règle de vote, on négocie jusqu’au consensus et puis on négocie aussi sur comment on va faire du rapportage ensuite (présenter un rapport sur tout ce qu’on a fait). Mais il n’y a pas de contrainte.

Par contre, comme le public est de plus en plus conscient des enjeux, il veut qu’on rende des comptes. Donc une fois qu’on a pris des engagements, on voit des citoyens qui portent plainte sur base de ces accords si les engagements ne leur semblent pas respectés.

La Belgique a un plan Énergie-Climat depuis plusieurs années, qui doit être mis en oeuvre de 2021 à 2030. Que contient-il? Comment se passe sa mise en place ?

Le plan national Énergie-Climat est un document que les États-membres doivent remettre à l’Union européenne pour expliquer ce qu’ils mettent en oeuvre pour atteindre les objectifs.

L’Union européenne s’est donné pour elle-même un objectif de réduction de 55% de ses émissions de gaz à effet de serre pour 2030. Et un objectif de neutralité carbone pour 2050. On a partagé cet objectif européen entre les États-membres. La Belgique a un objectif de -47%. Nous devons donc remettre en 2023 un premier brouillon du plan, avec cet objectif de -47%. L’Union européenne va examiner notre plan pour voir si c’est crédible ou pas. Puis elle va nous le rendre avec ses remarques et pour 2024, on doit rendre le plan national Énergie-Climat définitif.

Alors, en Belgique, on est plusieurs gouvernements responsables des politiques climatiques (les trois Régions et le niveau national). Chacun va regarder ce qu’il peut faire en fonction des accords de majorité de chacun (ce que les partis ont décidé de faire ensemble pendant la période où ils sont ensemble dans un gouvernement). Donc, pour mon gouvernement, on peut prendre des mesures en terme de mobilité, ou de fiscalité – que l’État ne mette plus d’argent pour soutenir des entreprises qui ne font pas d’efforts pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, par exemple.

Une fois que les gouvernements ont leur ensemble de mesures, on les traduit dans un rapport commun. C’est le travail qui est en cours.

Comment réduire notre consommation de carbone? Comment va-t-on se déplacer, se chauffer, s’équiper en appareils qui viennent du bout du monde?

Avant que le Belge lui-même doive faire les changements, je considère que nous, le politique, devons placer le cadre pour les changements. Par exemple, prendre des mesures pour passer d’une économie linéaire à une économie circulaire. On sait que 55% des gaz à effet de serre sont émis lors de la production d’électricité. Le gouvernement doit investir massivement dans d’autres sources d’énergie moins polluantes. À côté de ça, les 45% restant sont liés à nos modes de production et de consommation. Il faudrait donc faire en sorte que quand vous achetez un ordinateur, par exemple, vous ne deviez pas le changer dans six mois. Et puis, l’idée, c’est de faire en sorte que l’ordinateur soit réparable, et que quand on ne peut plus le réparer, on puisse récupérer les pièces pour les remettre dans le circuit et faire en sorte qu’on gaspille moins. C’est aussi, en matière d’alimentation, de diminuer notre consommation de viande. C’est également changer nos modes de déplacement mais pour cela, il faut que nous proposions une offre de transports publics efficaces.

Pour permettre à tout le monde de changer, il faut que nous changions les règles du jeu de notre société.

Comment fait-on des choix? Est-on sûrs, par exemple, qu’encourager à utiliser des voitures électriques, c’est un bon choix?

On ne sait jamais si c’est le bon choix. J’ai mis en place un système de pilotage qui fait que tous les six mois, je fais le point avec mes collègues pour voir les mesures qu’ils ont prises et si ce qu’on imaginait comme résultat est bien atteint. Si pas, on propose autre chose. Personne n’a la science infuse. Il n’y a qu’en mettant une mesure en oeuvre qu’on verra si elle est efficace ou pas. C’est des essais-erreurs. Mais au moins, on fait le point régulièrement et on regarde où on en est. Et une fois par an, je publie un rapport pour que tout le monde sache ce que le pouvoir public fait.

Vos décisions ont des effets sur l’économie. Est-ce que des entreprises font pression et essaient parfois de vous influencer ?

Oui. Chacun défend son intérêt, bien évidemment. Mais vous savez, personne ne veut mettre à mal notre économie. J’ai la conviction qu’on peut avoir une économie aussi florissante en faisant moins de dégâts à notre environnement. D’autant plus que le réchauffement climatique et ses effets ont un coût économique pour les entreprises elles-mêmes. On change de monde. Si ce n’est pas par solidarité ou par responsabilité, c’est par intérêt économique que les entreprises doivent intégrer l’enjeu climatique et consentir à des efforts.

Mais évidemment, le politique a une responsabilité parce que le « vieux monde », le monde carboné, continue à produire du bénéfice pour les entreprises. Et ces entreprises ne vont pas changer tout de suite. C’est là que le politique intervient pour accélérer la transition vers un autre monde, sans carbone.

En octobre 2022, lors de notre sondage auprès de 1500 jeunes de 7-17 ans, un tiers des répondants se sont dits inquiets pour leur avenir. La première source d’inquiétude citée, pour 23%, était le climat. Que dites-vous à ces jeunes?

Plusieurs choses. Leur inquiétude est légitime mais il existe des solutions.
Je pense qu’il y a lieu de travailler la question à l’école. Que dans nos écoles, on explique le mécanisme du réchauffement climatique pour que les jeunes comprennent qu’il y a une lueur d’espoir, que c’est possible autrement. Je ne minimise pas l’urgence, la gravité de la situation, mais je ne veux pas laisser penser qu’on ne peut pas faire autrement. Parce que ça, c’est le discours de ceux qui ne veulent rien changer. Or, c’est possible, les solutions existent. Et donc aujourd’hui, que cette conscience est là nous avons la responsabilité en tant qu’adultes de montrer que les changements sont possibles. Alors c’est vrai que plus on attendra, et plus ces changements seront sans doute violents à vivre. C’est pour cela qu’il faut changer aujourd’hui.

Je fonde beaucoup d’espoir sur cette jeune génération qui grandit avec la conscience de la crise climatique. J’imagine que lorsque ces jeunes seront chefs d’entreprises, responsables politiques… , ils auront une conscience telle qu’ils n’imagineront pas ne pas intégrer le climat dans leurs activités. Alors que nous avons grandi et avons été formés dans un monde totalement irresponsable de ce point de vue là, et qu’on doit changer radicalement notre manière de voir le monde. Cette génération-là, qui grandit avec une conscience climatique, elle est sans doute celle qui va apporter les plus gros changements de société. Mais en attendant, il faut les accompagner et les adultes doivent apporter des solutions et améliorer la situation.