Thibaut Thyrion arrive en souriant. Le visage hâlé, il ne peut nier qu’il est tous les jours dehors. « Je parcours à pied en moyenne 13 km par jour. Mais ça peut monter à 25 km ! »

Cela fait trois ans qu’il est garde-forestier dans ce bois privé appartenant à l’Université catholique de Louvain et situé sur la commune d’Ottignies-Louvain-la-Neuve  (Brabant-Wallon). 
Que doit faire un garde-forestier ?
Je suis le responsable direct du bois. Je gère donc sa vie au jour le jour. Mais je suis aidé par des ouvriers et par un comité scientifique, car un bois se gère aussi dans la durée. 
Ça veut dire quoi, gérer un bois « dans la durée » ? 
La forêt pousse lentement. En vous promenant, vous avez l’impression que ce que vous voyez maintenant sera pareil à ce que vous verrez à la fin de votre vie. Le regard du garde-forestier, lui, est différent. Il doit avoir une vision sur 200 ou 500 ans. Car un hêtre, c’est 400 ans de vie, un chêne 600 ans… La forêt éternelle n’existe pas. Mais l’écosystème forestier (tout ce qui rassemble la forêt : les animaux, la rivière…) peut être éternel, si on en prend soin. 
Combien y a-t-il d’essences d’arbres différentes dans le bois de Lauzelle  ?
Une cinquantaine. Ce bois se trouve dans une vallée creusée par un ruisseau, le Blanc-Ry. Sur les plateaux sableux poussent des résineux (sapins) et des bouleaux. Dans la descente, ce sont des chênes, des frênes, des érables et des hêtres. 
Comment voit-on « à 200 ou 500 ans » ?
On mesure tous les arbres de la forêt. On prend leur circonférence. On fait ça par 20 hectares, chaque année. On sait alors si on a une forêt qui se porte bien puisque l’on connaît le nombre de jeunes et de vieux arbres.
On a besoin des deux ! Dans ce bois-ci, on a beaucoup de vieux chênes. Si ces vieux arbres étaient malades, on perdrait tout. Donc on doit couper des vieux chênes pour en avoir des jeunes.
Couper des arbres pour en avoir des jeunes ?
Si on coupe un arbre, on crée une ouverture dans la forêt, car un arbre occupe une certaine surface, grâce à l’houppier (l’ensemble des branches d’un arbre qui sont placées en haut du tronc). Un grand arbre peut aller jusqu’à 25 ou 50 m ! En le coupant, on crée un puits de lumière favorable aux nouvelles pousses. C’est aussi au garde-forestier d’identifier ces jeunes pousses et de faire un tri. Il doit le faire en sachant que, par exemple, l’érable supplante (prend la place de) les autres essences… Il faut réfléchir, tenir compte aussi du réchauffement climatique et puis… attendre 15 ans !
Aimez-vous vous promener dans d’autres bois  ?
Non, ça ne me détend pas (rires) car je travaille quand je suis dans un bois  !

Un métier exigeant : aller au rythme de la nature, pas d’horaire

Le métier de garde-forestier est exigeant : « On doit avoir le rythme de la nature, donc il n’y a pas d’horaire. Je viens parfois la nuit dans le bois car il y a des espèces qui ne se développent qu’à ce moment-là : fouine, furet, chauve-souris… Mais l’activité animale se fait, aussi, tôt le matin. La nature ne nous attend pas. On peut arriver le matin et découvrir que l’on a raté quelque chose : le castor a fait le barrage la nuit et tout est inondé. » 

On doit accepter de perdre des arbres pour avoir le castor

« On surveille les barrages mais on laisse les castors tranquilles. Les castors sont des architectes, ils recréent des écosystèmes (milieux de vie) qui n’existaient plus. Parfois aussi, ils bouchent une mare et en font déborder le contenu sur le chemin, alors on intervient. »

« Le castor est une espèce protégée. On ne peut pas le chasser. On peut détruire et déplacer ses barrages uniquement sous autorisation du DNF  (Département de la Nature et des Forêts). En forêt, les barrages des castors peuvent faire mourir des arbres car certaines espèces ne sont pas prêtes à supporter autant d’eau. On doit accepter de perdre des arbres pour avoir le castor. Tout ce qu’on doit gérer, c’est là où il va mettre ses barrages et le passage du public. Le reste, ça peut être bénéfique, à long terme, pour la forêt  ! »