Christophe Cazenove dit qu’il vit un rêve. « Je voulais faire de la BD et ce rêve naïf m’a suivi jusqu’à l’âge de 30 ans ! C’est alors que j’ai rencontré le directeur des éditions Bamboo et que ce rêve s’est concrétisé. »

L’auteur raconte: « Une copine m’avait dit : Dimanche, j’ai cherché des idées comme tu le fais et je n’ai rien trouvé !  Dès lors, c’est normal parce qu’elle ne sait pas ce qu’elle cherche.  La différence c’est que, moi, je sais ce que je cherche. Certains pensent que je cherche des idées en vrac. Tiens ça, ça ira pour Les Pompiers, ça pour Cath et son chat… Ce n’est pas comme ça du tout. Je cherche précisément pour tel personnage de telle série et dans tel contexte. Donc, le travail est plutôt de savoir ce que l’on cherche. »

Est-ce facile de se mettre à la place des filles dans Sisters ?

« J’écris une BD sur des enfants, qui sont des filles. Et j’ai été moi aussi enfant avec un frère. De même, j’écris une série sur les motos, je n’en fais pas. Ou sur le basket, je n’en joue pas. Ce qui est intéressant, c’est d’essayer de se mettre à la place de quelqu’un d’autre et de comprendre pourquoi on peut avoir de la passion pour quelque chose. Même la BD Mes cops (ados) traite un sujet qui ne me concerne pas mais j’essaie d’imaginer comment on peut réagir quand on est une fille à cet âge-là. J’observe aussi les ados autour de moi. » 

Quelles sont les étapes de travail ?

« Avant de démarrer un album, j’échange beaucoup avec le dessinateur. Par exemple pour les Sisters, comme ce sont les vraies filles de William, le dessinateur, qui lui ont inspiré la série, j’attends toujours qu’il me donne le thème. Dans le 18e album, il voulait que l’on parle de nostalgie. Les filles vont fouiller dans les affaires des parents. Quand j’ai le thème, je commence à le développer sur un carnet de brouillon. Je dessine le gaufrier de la page de BD puis je mets les bulles et j’écris à peine le texte car je sais déjà ce que je veux faire. Je vois ainsi le nombre de cases dont j’ai besoin et la place que prendront les bulles. Ensuite, je fais mon scénario précis avec les textes pour décrire la situation et les dialogues. J’envoie cela au dessinateur qui, lui, réalise un crayonné qu’il me renvoie. Je lui envoie entre 6 et 8 pages à la fois par mois. Je fais cela pour chaque dessinateur.  C’est comme cela que je jongle d’une série à l’autre. Mon stress, c’est de ne pas pouvoir fournir un dessinateur car cela le priverait de revenu puisqu’il ne pourrait pas travailler et facturer ses dessins. C’est donc ma responsabilité. »

Voici le découpage du dernier des Petits Mythos ( Mouton d’or et les Argonautes)

Découpage des Petits Mythos (Moyton d'or et les Argonautes)

Des personnages d’une série peuvent-ils se retrouver dans une autre ?

« Il y a pas mal de passerelles entre Tizombi et les Sisters. Mais c’est le même dessinateur pour les deux séries. Et William a un univers graphique très cohérent. Depuis longtemps, dans les Sisters, Tizombi est le doudou de Marine. Dans le dernier album de Tizombi, on a décidé que ce serait l’inverse : les Super Sisters sont venues dans l’album. Il fallait juste trouver la façon de faire en sorte que les Super Sisters s’y retrouvent dans l’univers plutôt glauque et sanglant de Tizombi. Il fallait que chaque série garde sa personnalité sans que l’une prenne le pas sur l’autre. »  

Comment s’entraîne-t-on à créer des gags ?

« C’est une gymnastique. Je passe mes journées à chercher des âneries. C’est une tournure d’esprit. Et je remarque que depuis quelques temps, je comprends de travers ce que l’on me dit. Je comprends ou je lis de travers (rires). Cela m’aide à voir les choses d’une manière décalée. Et si je fournis au dessinateur une situation amusante, c’est surtout au niveau graphique, dans le dessin, que cela se joue. Il faut qu’il sache raconter en images pour que cela soit drôle au bon moment. C’est le dessinateur qui apporte le côté vraiment rigolo. Donc, c’est un travail d’équipe. Et je ne peux pas faire le même humour avec chaque dessinateur. »  

Quel regard portez-vous sur la série animée (Netflix)?  

« Ce qui me plaît, c’est que la série est davantage une interprétation qu’une adaptation. Ils ont pris les personnages, l’univers, les façons de parler et ils écrivent des histoires qu’ils inventent eux-mêmes. La série est plus délirante que la BD. Peut-être parce qu’un album suppose une lecture plus lente. Dans un premier épisode du dessin animé, Loulou, la meilleure amie de Marine lui demande de garder son boa constrictor. Dans la BD, on ne peut le faire car Marie n’a jamais eu de boa et puis, dans la BD cela aurait paru trop absurde. C’est comme tous les dégâts que les filles réalisent dans la série animée. Elles inondent la maison. Ce sont des catastrophes ambulantes. L’album ne prend pas ce chemin-là car la BD est plus proche de la réalité. C’est pareil pour les jeux vidéo et les jeux de société. Ce sont des experts du domaine qui s’en occupent. »

Quels conseils donneriez-vous à un enfant qui souhaite devenir un jour scénariste BD ?

« D’abord mieux vaut lire des BD. Ensuite, il faut se mettre à écrire des scénarios. Ado, c’est ce que j’ai fait. Et je dessinais aussi les pages car je ne connaissais personne pour le faire. Je ne pensais pas en faire ma carrière ou gagner ma vie grâce à cela. J’ai un ami qui était banquier, un autre qui travaillait en usine et les deux font à présent de la BD. On a tous des parcours étranges. Je pense qu’il faut juste avoir l’envie. Il faut y croire, ne pas se décourager. J’avais écrit un courrier à Greg, l’auteur d’Achille Talon, quand j’avais 11 ans, et il m’a répondu. Cela a été un encouragement monstrueux pour moi. »

Qu’est-ce que cela vous fait de découvrir vos BD en vitrine ?

« C’est toujours bizarre. Il y a peu, en rue, près de chez moi, j’ai croisé un enfant avec une BD des Petits Mythos sous le bras. Cela fait plaisir. J’avais presque envie d’aller lui dire : Veux-tu que je mette mon nom et que je te fasse un petit dessin ? Mais je n’allais pas l’embêter avec ça. Pareille surprise fait donc plaisir et, en même temps, j’ai conscience de vivre un truc assez unique. C’est une chance, notamment sur les Sisters, de travailler avec William sur une série qui gravit des paliers et qui est connue. Je vis un rêve. »  

Avec les Petits Mythos, vous avez retrouvé la passion du grec moderne et ancien ?

« Oui, avec cette série, ma passion d’ado pour le grec est revenue. Je suis donc des cours de grec moderne et puis je m’intéresse au grec ancien pour comprendre cette écriture, cette façon d’écrire des mots dans tous les sens.  Et j’ai rencontré une lectrice des Petits Mythos qui s’est mise au grec ancien. Tant mieux !