Vous allez à l’ONU pour parler de harcèlement. C’est un problème mondial ?

Oui. Il y a du harcèlement partout dans le monde.

Vous travaillez avec des écoles primaires et secondaires. Est-ce qu’un enfant harcelé en primaire le sera encore, d’office, en secondaire ?

Il peut arriver que les harceleurs le suivent et que ça continue, oui.

Et puis, à force de rabaisser quelqu’un en primaire, de l’insulter, de le frapper, on finit par le rendre plus vulnérable, plus fragile.  Il n’aura pas de répondant, manquera de confiance. Or, le harceleur vise quelqu’un qui a des difficultés, des spécificités, un handicap ou une vulnérabilité… qui le rendent exceptionnel, mais s’il a été broyé, il sera conditionné, enfermé dans une position de victime. Donc en secondaire, même si rien ne se passe, il ne va peut-être pas oser parler, il va rester dans son coin, avoir peur… ça le rend plus sensible pour de nouveaux harceleurs potentiels.

Que diriez-vous à un enfant harceleur ?

J’ai pas forcément envie de le culpabiliser. Même si c’est très grave, ce qu’il fait. Il ne se rend pas forcément compte de l’importance que ça a. Il se moque, il se dit que c’est drôle. S’il sent qu’au fond, ce n’est pas bien, il se dit que ce n’est pas si grave.

Or, c’est terrible. C’est trop facile de dire « je ne le pensais pas »!  J’ai 28 ans, et les insultes et les coups que j’ai reçus quand j’avais 12 ans ont encore un impact sur moi maintenant. Donc c’est vraiment grave. Il y a des suicides à cause de ça. Donc il faut qu’il fasse attention à la personne.

Mais je n’ai pas envie de le culpabiliser parce que je pense que, généralement, si le harceleur fait ça, c’est qu’il y a quelque chose derrière, une souffrance… Il est peut-être convaincu que parce qu’il est du côté du harceleur, il est plus fort et on ne pourra pas le toucher ou le considérer pour le problème qu’il cache. Mais il doit parler pour sortir de ce mécanisme, même si c’est compliqué. Ce n’est pas une marque de faiblesse de dire que ça ne va pas.

Que diriez-vous à des enfants témoins de harcèlement ?

Très souvent, on les culpabilise. Mais à l’école, les élèves se connaissent tous et les témoins ne peuvent pas fuir ou se cacher. C’est difficile. Ils ont parfois peur des représailles. Pourtant, le risque est quasi nul.

Le harceleur a besoin que les autres valident ses actions. Si un témoin parle, ça veut dire que la communauté ne répond plus favorablement à ce qu’il fait, et qu’elle réagit. Généralement, ça le calme.

Et puis les enseignants savent qu’ils doivent mettre le témoin à l’écart et rester discrets sur son identité.

Il faut que le témoin sache que son geste peut littéralement sauver une vie quand on sait que ça a des conséquences jusqu’à l’âge adulte. C’est très difficile de sortir du harcèlement quand on a été victime.

Que doivent-ils faire?

Je ne suis pas pour qu’ils se mettent au milieu d’une altercation. S’ils voient, qu’ils n’interviennent pas, parce qu’ils vont se mettre en danger. Ils n’auront prévenu personne, donc ça ne servira à rien. Et puis l’adulte risque de ne rien comprendre et de faire des reproches aux témoins en l’incluant dans le conflit. Donc, on s’éloigne, et on prévient un adulte. C’est tout. Alors, bien sûr, il faut que l’adulte l’écoute, qu’il mette le témoin à l’abri… Mais je l’encouragerais à parler.

Et s’il y a deux témoins, ça peut être bien qu’un témoin reste sur place et regarde ce qui se passe, pendant que l’autre va prévenir un adulte. Comme ça, le témoin qui est resté peut confirmer et décrire ce qu’il a vu.

La clé pour dénouer la situation, c’est la parole ?

Oui. Parler à un adulte de confiance, quelqu’un de proche ou de moins proche.

Parfois, c’est plus facile de parler à un oncle, une cousine, qu’à son père ou à sa mère. Et ça n’a rien à voir avec le fait d’avoir une bonne famille. Moi, j’ai une famille géniale, je suis très proche de mes parents, mais je ne leur ai rien dit pendant des années. Je me confiais à mon doudou. On peut s’entraîner à parler à son doudou, à son chien, à un ami imaginaire… On peut écrire, aussi. Parfois, par écrit, c’est plus simple. Mais briser le silence, c’est essentiel pour en sortir.

On a créé une BD pour aider à voir ce qu’il faut faire…

Le harcèlement, ça ne concerne que les enfants ?

Pas du tout ! Les adultes peuvent aussi harceler et être harcelés.

C’est pour ça qu’il est important de lutter contre le harcèlement dès l’enfance. L’une des conséquences du harcèlement à l’école, c’est que plus tard, au travail, celui ou celle qui a été harcelé(e) préfère se mettre en retrait, ne pas socialiser avec les autres, ne pas manger avec ses collègues par peur que ça se passe mal…

Un jour, le harcèlement pourrait disparaître ?

Un monde sans violence, c’est impossible. Un monde sans harcèlement, c’est possible.

On peut avoir des actes de violence, des agressions. Mais si c’est pris en charge tout de suite, on empêche que ça se répète et qu’il y ait harcèlement. Plus on en parle et plus on a de chance de faire disparaître le harcèlement.