Dans son travail, Nicolas Vanderbiest a enquêté sur les bots et les trolls.

«Un bot, explique-t-il, c’est un robot, ou un compte (sur Facebook, Twitter…) qui est robotisé. Quelqu’un l’a créé pour qu’il publie automatiquement une information à telle heure, un grand nombre de fois. Mais actuellement, la désinformation n’est plus guère réalisée par des bots, parce que, comme la même tâche se répète un grand nombre de fois, on arrive vite à l’identifier. Donc, la plupart du temps, ce sont des humains qui sont payés pour faire ça toute la journée. Ils créent des fausses identités sur les réseaux et suivent des directives (des ordres) comme des robots. Ils vont multiplier les comptes et publier plusieurs fois sur une journée. On estime qu’ils «jouent» entre dix et vingt personnes. C’est ce qu’on appelle des usines à trolls.»

Pour quoi faire?

Souvent, l’objectif, c’est de montrer un fait d’une manière différente… «Prenez la photo d’un paquebot rempli de migrants. Une personne très ‘socialiste’ va dire «c’est pas possible, toute cette misère humaine, il faut bouger et les aider!», tandis qu’une personne d’extrême droite va dire «Ils nous envahissent!» C’est un même fait, mais pas avec la même clé de lecture. »

Le but, c’est donc de diffuser sa manière de voir en jouant sur l’effet de masse. «Si beaucoup de personnes différentes adoptent un comportement et qu’on est hésitant, on a tendance à suivre les plus nombreux.»

Comment?

Les trolls vont propager leurs idées dans des «informations» fausses ou simplistes (tellement simplifiées qu’elles en sont fausses), dans des commentaires sous les articles ou en répondant à des sondages en ligne. Ils vont diviser les gens, les opposer, les faire réagir… Les gens propagent alors les idées dans leurs propres réseaux (leurs amis) et ça circule tout seul!

Qui se cache derrière?

Ces usines à trolls peuvent être créées et gérées par des groupes de gens qui ont des idées extrêmes (extrême droite, extrême gauche, contre les homosexuels, les Juifs, les étrangers…).

Mais les usines à trolls sont aussi le fait de certains États. L’organisation Reporters sans frontières a mené une enquête en 2018. Elle conclut qu’au moins une trentaine de pays ont créé des usines à trolls. «On a des preuves d’ingérence (intervention) russe dans l’élection de Donald Trump, par exemple. En République tchèque, il y a eu des cas d’ingérence d’Américains et de Chinois. Dans certains pays d’Amérique du Sud, aussi. C’est assez large.»

En Belgique francophone, on est jusqu’à présent peu concernés, selon Nicolas Vanderbiest. «En France, sur un débat politique, on est sur 300 000 à 400 000 individus actifs sur Twitter, dont 2000 à 3 000 faux comptes. En Belgique, on va être autour de 3 000 à 4 000 personnes actives sur Twitter dans un débat politique. Mais on n’a jamais détecté de comportement de type troll sauf au nord du pays, où on va être autour de 200 faux comptes.»

Ces interventions de trolls créent des tensions. «En France, ça commence à être de plus en plus émotionnel, avec des invectives (injures).Aux États-Unis, on est dans un climat très problématique.»

Des menaces de mort

Le climat se tend dans la société, entre autres, à cause de fausses informations. La violence vise aussi les journalistes ou experts en fake news. «J’ai enquêté sur l’affaire Benalla en France, et j’ai été visé dans 300 000 tweets! C’est un mécanisme extrêmement fort. Il y a une pression terrible sur nous, qui sommes humains, qui avons des enfants, une famille… » Des journalistes sont ainsi décrédibilisés (on dit qu’ils ne sont pas fiables). Des personnes sont régulièrement victimes de lynchage (maltraitance) sur les réseaux sociaux. Il arrive que les menaces visent la famille et soient accompagnées d’informations privées (adresse, numéro de téléphone). De quoi décourager les journalistes, par exemple, de s’intéresser à certains sujets ou de publier certaines informations! C’est un des grands dangers de cette guerre de la désinformation…