Comment vit-on en étant une jumelle ? Autrice et dessinatrice, Florence Dupré La Tour est aussi une jumelle. Elle a grandi avec sa sœur Bénédicte.
Dans cette BD de 174 pages, elle explique combien petite, elle avait envie d’être comme sa sœur jumelle, exactement la même. Le but? Ne pas sortir de cette ressemblance parfaite. Pour elle, comme pour Bénédicte, le « je » n’existait pas, tout était « nous ».

Florence Dupré La Tour, dans cette BD, vous racontez votre enfance de jumelle. Cet album est donc un récit… en « je »?

« Oui. Nous avons vécu une enfance fusionnelle. C’est un rapprochement de tous les jours. Nous avons vécu une enfance en étant tout le temps avec l’autre, jusqu’à l’âge de 11 ans. Nous étions dans la même chambre, la même classe, nous avions les mêmes vêtements, les mêmes amis, le même rythme et la même culture. L’une commençait une phrase et l’autre la terminait. On était à l’unisson. »

Pourriez-vous expliquer ce ressenti particulier de jumelle?

« On ressentait au même moment les mêmes choses. On prête souvent des pouvoirs magiques aux jumeaux mais je pense qu’ils n’en ont pas. Ils ont juste une proximité qui est plus importante que le reste de l’humanité. On a ce lien qui est très fort qui nous unit. Cela nous permet de nous comprendre sans se parler. Un peu comme les animaux. »

Dans la BD, vous montrez que votre duo est aussi exclusif

« Oui, on forme un duo qui se suffit à lui-même. On n’a pas besoin des autres, de nos parents qui sont là pour nous servir… presque (rires). Et les autres, mon frère et mes deux sœurs, les amis… ne pénètrent pas cette cellule gémellaire. »

Si on vous avait d’emblée mises dans des classes différentes, cela aurait-il changé les choses?

« Oh oui. Je crois que nous aurions appris à vivre chacune seule plus tôt. C’est ce qui a été très difficile pour nous, c’est de nous séparer. C’est une force d’être jumelle dans les moments de la vie où par exemple on entre dans une nouvelle classe et où on ne connaît personne. Avec Bénédicte, nous n’avons jamais été seules. L’autre était toujours avec nous. On a aussi connu des déménagements. Dans ces moments où on change de lieux et où on est déraciné, l’autre est toujours là. Donc ce n’est pas si grave, puisque l’on est accompagné. Cet apprentissage de la solitude, nous avons dû le faire plus tard. Et apprendre à être seule, quand on n’y a pas été habituée toute petite, c’est très dur. Quand on est avec sa sœur jumelle, on ressent de la confiance en soi. Mais dès que l’on se retrouve face au monde, on n’a plus d’estime de soi car c’est comme si on était coupée en deux. Il nous manque une partie. Et arriver forte alors que l’on se retrouve affaiblie… cela reste compliqué. »

Après l’enfance, avez-vous connu les mêmes expériences, Bénédicte et vous?

« Nous avons vécu des similitudes (ressemblances) dans notre âge adulte. Nous avons chacune deux enfants. Elle, deux filles, moi, deux garçons. On a vécu des choses assez similaires. Sans doute car nous avons une partie de notre caractère qui est le même. Une partie du caractère car nous avions une culture commune. Le fait que l’on ait souffert en même temps et été heureuses en même temps nous a permis de créer un socle commun. »

Vous êtes des jumelles « en miroir », l’une droitière et l’autre gauchère. Quelles sont les autres différences?

 » L’une sossotait et l’autre zozotait, l’une avait une fossette et l’autre n’en avait pas, l’une avait des yeux vairons donc un des deux avait une couleur légèrement différente de l’autre. Ces petites différences entre nous me déplaisaient profondément quand j’étais petite. Je voulais être exactement la même que ma sœur jumelle. »

Comment Bénédicte a-t-elle accueilli l’idée de votre récit en BD ?

« Elle m’a dit: tu fais ce que tu veux, mais je ne lirai sans doute pas cet album. Je crois qu’elle a peur qu’il puisse y avoir une discorde entre nous. Mais entre nous, on ne parle pas, on se comprend. Il y a énormément de tabous (de choses interdites) dans notre façon de communiquer. On s’entend extrêmement bien mais on ne parle jamais des choses graves. C’est comme si on savait qu’elles existaient mais on ne creuse jamais car on prendrait le risque de la discorde. Moi, je veux que notre relation soit belle et équilibrée. Donc il ne faut pas qu’il y ait de la discorde. »

En écrivant et en dessinant cet album, vous avez voulu montrer une image de la gémellité

« Quand j’étais petite, j’aurais aimé lire un livre sur la gémellité. Or, souvent dans les médias, les livres, les films, on montre les jumeaux de façon caricaturale. On pense aux jumelles des Simpson, aux triplés de Donald (Disney)… Petite, je n’avais pas d’exemples de couples de jumeaux dans lesquels j’aurais pu me retrouver. »

Leur monde n’incluait ni les parents, ni les trois autres frères et sœur. Pareil à l’école, le duo «FlorBendit » se suffisait à lui-même. Florence se voyait plutôt comme un garçon et Bénédicte, plutôt comme la fille. Jusqu’au jour où… Bénédicte a voulu sortir de cette fusion. Florence jusqu’alors n’avait qu’une idée : protéger sa sœur et la faire rire.

Si vous aviez eu des jumeaux, les auriez-vous différenciés?

« Oui, je l’aurais fait d’une manière ou d’une autre. Par des activités différentes, par des amitiés différentes. »