Laurence est infirmière depuis 22 ans dans un hôpital de la région namuroise. Pendant 20 ans, elle a travaillé à pause: «Je faisais soit le matin – de 7 h à 15 h21 – soit l’après-midi – de 13 à 21 h – ou la nuit – de 20h30 à 7 h 30. Je travaillais un week-end sur deux et des jours fériés. Puis, il y a deux ans, j’ai eu l’opportunité de changer de service et de prester des horaires de bureau, donc de 8 h à 16 h21, et de ne plus travailler le week-end, le soir et les fériés. »

Laurence est soulagée de ce changement de rythme mais aussi de travail. Comme exemple de difficultés vécues, Laurence parle d’abord de la formation des nouveaux infirmiers dans son service: «Quand je suis sortie de l’école, j’ai été engagée dans un service d’hôpital que je venais de quitter comme stagiaire. Donc, je connaissais déjà un peu le service, les missions, le travail. À l’époque, les nouveaux étaient écolés pendant deux mois, sans être comptés dans l’horaire. Ça veut dire que j’ai suivi une collègue pendant deux mois, pour bien connaître le fonctionnement de tout. Aujourd’hui, cet écolage, c’est cinq jours. Après ça, la jeune infirmière est sensée se débrouiller, travailler seule… Elle est dans l’horaire comme si on pouvait compter sur elle pour tout. C’est impossible. Donc, en fait, les collègues se chargent de l’aider en plus de faire leur travail. C’est épuisant, surtout quand on lutte pour transmettre des choses à des jeunes qui, en fin de compte, s’en vont. À un moment donné, j’avais compté que sur deux ans, on avait formé plus de 15 nouveaux qui étaient finalement partis. Beaucoup ne supportaient pas de travailler dans notre service, où on traite des pathologies (maladies) lourdes, avec pas mal de décès… Certains étaient angoissés de ne pas savoir assurer le travail parce que trop de choses compliquées à gérer avec des conséquences possibles très lourdes. Et puis, il y a des infirmières qui étaient écartées (devaient arrêter de travailler momentanément) pendant leur grossesse et qui, après, ne revenaient pas dans le même service. Il y a aussi des gens qui ne convenaient pas du tout, d’autres qui ont voulu quitter le milieu hospitalier…»

Le bien-être du patient

Laurence avait du mal à supporter, aussi, le manque de temps pour le patient. «On entre dans la chambre, on place la perfusion et on sort. Si le patient t’interrompt, tu culpabilises parce que tu prends du retard. » Mais comment expliquer ce manque de temps aujourd’hui? Il y a moins d’infirmiers? «Si on regarde les chiffres, non. Mais ces chiffres ne tiennent pas compte de l’état du patient qui a évolué, parce que beaucoup sont plus âgés, notamment. Et puis le travail est organisé autrement. Avant, on était par deux pour s’occuper pleinement du patient: de sa toilette, de son traitement… Donc, on avait le temps de parler avec le patient en le lavant etc. On avait une vision plus globale (large, de plusieurs points de vue) de son état et un autre contact. Aujourd’hui, le travail est divisé: les aides-soignantes font les toilettes (laver le malade), les aides logistiques donnent les repas, et les infirmières administrent les traitements… sans avoir de vision globale des patients. Moi, je luttais contre ça et je voulais passer du temps avec mes patients. Mais alors, je devais me justifier parce que mon tour des chambres, pour donner les médicaments, durait plus longtemps

Ce manque de temps cause des situations difficiles, en mettant les infirmiers devant des choix douloureux: «Dans mon service, quand on a quelqu’un en fin de vie, on a envie de rester près de lui, de passer du temps à ses côtés. Mais à côté, on a des gens qui, par exemple, sont en leucémie (sorte de cancer) aiguë qui ont besoin de beaucoup de soins. L’un n’a pas plus d’importance que l’autre. Mais on doit faire un choix… Ce sont des situations vraiment pénibles.» Parfois, Laurence décidait régulièrement de rester plus longtemps au travail, même si elle avait fini sa journée: «Si je faisais le soir et que j’avais un patient en train de mourir, je ne partais pas à 21 h en laissant ma collègue seule pour la nuit avec 28 patients dont un en fin de vie… Je restais plus longtemps.»

Engager des renforts?

Qui peut décider d’engager des nouveaux infirmiers? Les hôpitaux doivent suivre des normes (chiffres fixés par un règlement ministériel). Laurence nous explique que ces normes sont fixées en fonction d’un relevé qui est fait quatre fois par an, pour compter les soins nécessaires par malade… Cela devrait permettre d’adapter les normes à la situation sur le terrain: si les patients actuels ont besoin de plus de soins qu’il y a 20 ans, le relevé le montre et on devrait avoir le droit d’engager plus de personnel infirmier. Le problème, d’après Laurence, c’est qu’entre le relevé et l’adaptation des normes, il y aurait cinq ans…

Autre souci: le manque d’infirmiers disponibles pour être engagés. «Ça fait deux mois qu’on cherche une nouvelle chef de service. On ne trouve plus d’infirmiers.» Cette année risque d’être encore plus difficile, puisque les étudiants qui auraient dû recevoir leur diplôme d’infirmiers en juin doivent encore étudier un an: les études ont été allongées d’une année.

Le témoignage de Laurence aide à comprendre pourquoi les infirmières et infirmiers réclament d’être plus nombreux. Dans le JDE de ce 14 juin, vous pourrez découvrir un autre témoignage, différent, et tout aussi intéressant!