Après un an de guerre en Ukraine, comment les enfants vivent-ils la situation ?

Le 24 février 2022, la Russie envahissait une partie du territoire ukrainien, déclenchant ainsi une guerre condamnée par la majeure partie de la communauté internationale. La vie de millions d’Ukrainiens en a été, et est toujours, bouleversée. Parmi eux, des enfants, dont le quotidien a forcément aussi changé ces derniers mois.

Trois jeunes Ukrainiennes, toutes originaires de Lviv (à l’ouest de l’Ukraine, près de la frontière polonaise), ont accepté de répondre aux questions du JDE et de nous expliquer comment elles vivent ce conflit. Polina, 9 ans, vit actuellement en Belgique, à Bruxelles, avec son frère et sa maman. Melaniya (9 ans) et Yaryna (13 ans) vivent, elles, en Ukraine, à Lviv.

Pour tout comprendre de ce conflit, Le JDE a réalisé un dossier sur la guerre en Ukraine. Et en a même fait une vidéo que tu peux regarder juste ici :

Après un an de guerre en Ukraine, la parole aux enfants

Il y a un an, la guerre éclatait en Ukraine et touchait aussi les enfants. Vous rappelez-vous du jour où vous l’avez appris ?

Yaryna : Oui, tôt le matin, en regardant les messages sur le chat que je partageais avec mes camarades de classe. Une de mes amies, Anya, avait écrit que nous n’allions pas à l’école à cause de la guerre. « Aujourd’hui, on ne va pas à l’école. La guerre a commencé. » Elle l’a écrit exactement comme ça. Alors, je suis allée dans la chambre de mes parents et j’ai réveillé ma mère en lui demandant : « Qu’est-ce que ça veut dire ‘la guerre a commencé’ ? »

Ma mère était plutôt confuse (embarrassée) avec la question, alors nous sommes tous les deux allées dans la cuisine. Maman a ouvert son ordinateur portable et nous avons lu les nouvelles qui disaient que Kiev (la capitale de l’Ukraine) était bombardée depuis 4 heures du matin. On s’est assises et on a regardé les infos pendant un long moment. Aucune de nous ne savait quoi penser au début.

J’étais très inquiète pour mon père qui était parti courir le matin comme à son habitude. Et puis, mes souvenirs de la journée sont fragmentés (Yaryna ne se souvient que de parties). Je me souviens que mon père est revenu, et que les cloches de l’église ont commencé à sonner à l’improviste… Et puis quelqu’un aux infos a annoncé que l’alarme anti-aérienne s’était déclenchée et que nous devions nous rendre à l’abri. C’est pratiquement tout ce dont je me souviens de cette journée.

Yaryna, 13 ans, à propos de la guerre en Ukraine : « La Russie parle d’opération spéciale. Ce n’est pas une opération ! C’est la guerre.»

Polina : C’était le 24 février. Je me rappelle que mes parents me l’ont annoncé. J’étais triste et choquée. Nous sommes partis de chez nous le premier jour de la guerre, avec ma maman et mon frère. Mon papa est toujours en Ukraine. (En Ukraine, les hommes de 18 à 60 ans ont l’interdiction de quitter le pays. Ils sont «mobilisables»: c’est-à-dire qu’ils sont « dans l’armée » sans être forcément appelés à combattre, mais ils peuvent l’être à tout moment.) Ça fait un an que je ne l’ai plus vu.

Polina, 9 ans. Elle va à l’école à Bruxelles depuis le mois de septembre et apprécie la Belgique. Mais son pays lui manque.

Melaniya : Je me souviens comment mes parents nous ont réveillées ma sœur et moi le 24 février. Ils ont rassemblé des choses, écouté et discuté des nouvelles à la télévision, de celles qu’ils lisaient sur leur téléphone. Quand j’ai demandé « que s’est-il passé? », ils m’ont répondu qu’eux-mêmes ne comprenaient toujours pas. Mais le lendemain matin, ma mère m’a dit que je n’irais pas à l’école, elle nous a demandé à ma sœur et moi de nous laver rapidement. Ensuite, nous avons pris de la nourriture, des jouets, des sacs de couchage et nous sommes allés dans un abri. Là, maman et papa nous ont expliqué que la Russie avait envahi l’Ukraine et que la guerre avait commencé.

Melaniya, 9 ans. Elle est convaincue que l’Ukraine gagnera la guerre.

Qu’est-ce qui a changé dans votre vie, en un an de guerre en Ukraine, en tant qu’enfants ?

Yaryna : Ma vie est bouleversée par les alarmes aériennes et je m’inquiète pour mes parents chaque fois qu’ils se rapprochent de la ligne de front (où se déroulent les combats) pour aider les gens là-bas, et je suis inquiète pour mes amis qui ont du mal à traverser tout ça.

Parfois, je mens à certaines personnes sur ce que je ressens, je ne leur dis pas à quel point je me sens mal à cause de la guerre, ou que je me sens coupable en m’amusant.

Mais vous savez, vous pouvez vous adapter à beaucoup de choses, y compris les sirènes de raid aérien. Alors on a cessé de s’en cacher quand on est à la maison, on ne s’approche juste pas des fenêtres. À l’école, quand l’alarme anti-aérienne retentit, nous allons à l’abri et y restons, parfois pendant 4-5 heures.

Avec la guerre, j’ai perdu aussi la moitié de mes amis, Certains parce qu’ils sont à l’étranger, d’autres parce que leurs parents sont très inquiets et ne les laissent pas sortir. Et ce n’est pas facile de se parler via les réseaux sociaux car nous avons différents horaires de périodes de coupures de courant (parce que l’armée russe bombarde les infrastructures énergétiques). Mais il me reste encore 3 meilleurs amis, et je suis reconnaissante pour eux et pour mes parents, c’est plus facile de vivre la guerre à leurs côtés.

Polina : Nous avons quitté l’Ukraine. En août, nous sommes arrivés en Belgique à Bruxelles. (Car sa maman parle français et y a trouvé du travail et un appartement. Elle avait aussi un couple d’amis franco-ukrainien qui y vivait depuis deux ans avec leur fille, la meilleure amie de Polina. Qui pouvait aller dans la même école, dans la même classe). Je vais à l’école depuis septembre. C’est un peu difficile d’apprendre le français mais je commence à le comprendre un peu maintenant.

C’est triste de ne plus voir mon papa mais je sais qu’il va bien, même si je m’inquiète un peu. Il est dans un endroit sûr. Il est dans l’armée mais il ne combat pas. On se parle au téléphone. Il pourra venir quand la guerre sera finie.

Je suis bien ici en Belgique, je vais bien.

Melaniya : Mon père a été enrôlé dans l’armée, c’est bien qu’il soit médecin et qu’il ait la possibilité de travailler un peu plus loin du front. Ma mère, ma sœur Daryna et moi avons été en Pologne pendant plusieurs mois, puis nous sommes retournées à Lviv. Nous allons à l’école tous les jours, même si parfois nous avons cours en ligne. Dans l’école, nous avons des salles de classe équipées au sous-sol. On y descend quand la sirène anti-aérienne retentit. Notre professeur nous dit toujours que le plus important, c’est de ne pas paniquer. Sur la porte, on a accroché les règles de conduite lors d’un danger aérien. Avec mes amis, rien n’a changé.

Est-ce qu’on comprend exactement ce qui se passe actuellement quand on est enfant ?

Yaryna : Oui, je comprends parfaitement ce qui se passe : les Russes attaquent notre pays depuis 2014. Maintenant, ils nous livrent une guerre à grande échelle et appellent cela « une opération spéciale », ce qui me met particulièrement en colère, car ce n’est pas une opération ! C’est la guerre. Ils veulent nous tuer parce que nous sommes Ukrainiens.

Polina : Pas vraiment. Mais un peu… C’est compliqué. Je comprends que c’est une guerre et que c’est pour ça que nous avons dû quitter le pays. Et mes amis ukrainiens m’expliquent un peu ce qu’il se passe. Mais je pense que c’est mieux de ne pas savoir ce qui se passe. Pour moi, c’est important bien sûr. Mais pas pour les Belges. Ils peuvent vivre sans, je pense. C’est mieux. (Polina sourit.)

Melaniya : La Russie a attaqué l’Ukraine parce qu’elle veut être «le roi» de tous les pays et conquérir le monde entier. C’est pour ça qu’ils continuent à se battre constamment.

Quelles sont vos peurs ?

Yaryna : Ma pire peur c’est qu’un missile russe frappe ma maison, la détruise et tue ma famille pendant que je suis à l’école. J’ai aussi peur de devenir sourde à cause de l’impact, si un missile frappe tout près de chez moi.

Polina : Je ne sais pas… Je sais que c’est dur, mais moi ça va. J’étais effrayé au début mais maintenant je me suis habituée…

Melaniya : J’ai peur que mon père ne revienne pas de la guerre. J’ai aussi peur que la Russie puisse gagner parce que leur président peut ordonner à tous les Russes d’attaquer l’Ukraine, et ils ne s’y opposeront pas, ils nous attaqueront.

Quels sont vos espoirs pour l’avenir ?

Yaryna : Je suis sûre que l’Ukraine va gagner. J’espère que mes proches, mes parents, mes amis et moi-même serons sains et saufs d’ici là. J’espère que nous pourrons reconstruire notre pays avec l’aide des amis de l’Ukraine du monde entier. J’aimerais aussi voyager dans toute l’Ukraine après la victoire. Mais ce n’est pas facile pour moi de faire des plans pour l’avenir alors que la guerre continue…

Polina : Mon espoir, ce serait qu’il y ait une bonne fin. J’aimerais rentrer chez moi. Il y a ma maison, ma famille, j’aime mon pays. Mais je ne pense pas que la guerre s’arrêtera. La Russie veut mon pays et elle ne s’arrêtera pas tant qu’elle ne l’aura pas.

Melaniya : J’espère qu’immédiatement après la victoire ukrainienne, tous les opérateurs mobiles ukrainiens enverront des SMS « L’Ukraine a gagné la guerre ! C’est fini ! » et enverra également 50 UAH (monnaie ukrainienne – environ 1,30 euros) à chaque utilisateur de téléphone en cadeau. J’espère aussi que mon père reviendra et que nous irons au restaurant avec notre famille et 15 amis pour fêter cela. Je rêve aussi qu’après la victoire de l’Ukraine, on parte en vacances en famille en Croatie.

Un an de guerre en Ukraine, les enfants ont raconté…