Damien, vous êtes rentrés en Belgique mi-octobre, après deux ans de navigation dans l’océan Atlantique. Qu’est-ce qui a déclenché l’envie de ce voyage ?

Aline et moi, on s’est rencontrés lors d’un stage de voile. Depuis le début, on avait envie d’aller plus loin que l’horizon. On s’était dit qu’on achèterait un jour un bateau, qu’on le retaperait et qu’on partirait.

Et vous avez acheté un vieux voilier que vous avez retapé vous-mêmes?

Oui. Il était vraiment en mauvais état et on a tout réparé et refait nous-mêmes. Ça nous a pris quatre mois de travail. On l’a appelé Sanzaru, nom japonais de trois singes qui se cachent l’un les yeux, l’autre les oreilles, le dernier la bouche. Cela signifie « Ne pas voir le Mal, ne pas entendre le Mal, ne pas dire le Mal ». Mais nous, on a trouvé que ça représentait bien le fait qu’on se voile souvent la face, on a pensé que ça avait du sens par rapport à la question du plastique.

Vous avez en effet participé à un projet sur le plastique grâce à une association suisse?

Oui. On voulait donner du sens à notre voyage. On s’est renseignés. On a rencontré une association suisse, Ocean Eye. Celle-ci fonctionne avec des bateaux qui collectent des plastiques en mer et qui dresse une carte des plastiques dans les océans. On est devenus bénévoles pour cette association. On a fait de la collecte de microplastiques et de la sensibilisation.

Qu’est-ce que c’est, les microplastiques ?

Ce sont des plastiques qui se retrouvent dans les océans. À cause de l’action des vagues, du vent, du soleil…, ils se fragmentent en petits morceaux. S’ils sont plus petits que 5mm, ce sont des microplastiques.

Microplastiques
Ils se retrouvent partout dans les océans. (Sea The Plastic)

Mais si ce sont des tout petits bouts de plastique, en quoi sont-ils sont gênants?

L’eau de la mer est vivante. Si on l’observe au microscope, on voit qu’elle contient plein de micro-organismes vivants comme le plancton. Et le plancton, c’est le premier maillon de la chaîne alimentaire des océans, du petit poisson aux plus grands jusqu’à la baleine. Donc, à tous les étages de la chaîne alimentaire, on retrouve du plastique. On en retrouve donc aussi dans les poissons qu’on mange. Les plus grands plastiques, eux, sont mangés par les tortues, les oiseaux… et on retrouve tous ces plastiques dans leur organisme, dans leur ventre.

D’où viennent ces plastiques? Des marins? Des nageurs?

Ces plastiques viennent principalement des villes, et pas spécialement des villes côtières. Les déchets sur Terre suivent l’eau, des égouts aux rivières, pour arriver finalement à la mer. Il faut arrêter de produire et de consommer les plastiques, surtout ceux à usage unique, car ils finissent en partie dans les océans.

La deuxième source de la pollution plastique, c’est l’industrie de la pêche. Les petits pêcheurs pêchent de façon artisanale. Mais les gros bateaux de pêche industrielle produisent beaucoup de déchets plastique: des bouées, filets, bacs en plastique pour stocker les poissons, matériel de pêche en plastique… qui se retrouvent dans les océans.

Des courants marins déplacent tous ces plastiques sur des longues distances.

Est-ce que les microplastiques flottent?

30% des microplastiques flottent mais le reste coule. Il y a des projets de nettoyage des océans, mais ils ne nettoient les océans qu’en surface. Et c’est compliqué de n’enlever que les plastiques de l’eau, sans emporter des poissons ou d’autres organismes vivants.

Comment avez-vous fait les prélèvements de microplastiques dans l’océan ?

Il fallait des conditions météo favorable – pas trop de vent, pas de trop grosses vagues – et que le bateau n’avance pas trop vite. On avait une structure métallique flottante avec un filet très fin, en forme conique. À l’extrémité de ce filet, il y avait une sorte de « chaussette » qui filtrait l’eau de la mer pendant 30 minutes. Puis on récupérait tout ce qui s’était accumulé dans cette chaussette : algues, plastiques… Ensuite, on envoyait tout à des laboratoires qui faisaient des analyses pour mesurer les concentrations en plastique.

À la pêche au plastique
Un long filet et une chaussette au bout… (Sea The Plastic)

Pour chaque échantillon, on notait les coordonnées GPS du début et de la fin de l’opération de collecte, la quantité d’eau qui était entrée dans le filet, la force du vent et un tas d’informations. Ocean Eye établit une carte des concentrations pour avoir des données concrètes.

En quoi est-ce utile de mesurer les concentrations de microplastiques dans les océans?

Pour faire bouger les choses, il faut avoir des données précises : autant de plastiques à tel endroit. C’est la base de la démarche pour réclamer et espérer des changements. Ça fait plus de dix ans que l’on s’intéresse au sujet dans le monde. Avant notre départ, 20 000 échantillons avaient été pris sur une dizaine d’années. Depuis, ça a encore bougé. Les Nations Unies (l’ONU rassemble presque tous les pays du monde) ont une base de données qui regroupe les mesures prises par tout le monde.

Combien d’échantillons avez-vous récoltés en deux ans ?

On a fait une cinquantaine de prélèvements valides et beaucoup plus qui ont été considérés comme invalides car trop d’algues étaient entrées dans le filet. Ce n’était pas si facile. Dès qu’on avait les bonnes conditions météo, on essayait d’en faire un. Ça nous prenait du temps.

La matière récoltée dans la chaussette part au laboratoire. (Sea The Plastic)

Vous avez aussi nettoyé des plages ?

Oui. Au début, on a été sur une plage inaccessible depuis la terre. On ne pouvait y aller que par bateau. Or, il y avait plein de plastiques. On s’est dit que si personne ne les ramassait, ils resteraient là indéfiniment. Donc on a commencé à les ramasser. Puis on s’est mis pour défi de passer cinq minutes minimum par jour à ramasser des déchets sur les plages et les côtes. Et partout, pendant deux ans, on a trouvé des plastiques. Même dans des endroits isolés et inhabités. Y compris au Groenland et en Islande.

Plage
Aline et Damien ont aussi nettoyé des plages. Dans tous les pays visités, ils ont retrouvé des plastiques. (Sea The Plastic)

Que retenez-vous surtout de ce voyage ? L’aventure, des tempêtes ou des dangers?

Plein de choses. Oui, on a eu des tempêtes et des grosses difficultés, surtout au Groenland, au milieu des glaces. Les gros icebergs se cassent en morceaux qui parfois affleurent juste la surface de l’eau. Si on les touchait, avec notre petit bateau, on coulait. Et vu la température de l’eau, si on tombait du bateau, on mourait. Donc naviguer là demandait beaucoup de vigilance, surtout qu’il y avait souvent du brouillard.

Mais le plus marquant, c’est le contact avec la nature. On vivait coupés de la civilisation, au milieu de la nature. Naviguer dans cette nature grandiose et toute puissante, ça rappelle les fondamentaux de la vie. Ce ne sont pas les jeux vidéo ou l’argent, par exemple, qui comptent.

Mer
La nature est superbe. Il faut la préserver. (Sea The Plastic)

Depuis votre retour, que faites-vous ?

On a passé un mois à réaliser un film sur la deuxième partie de notre voyage, depuis le Québec jusqu’en Belgique. On le présente dans des festivals. On voudrait continuer à le présenter dans des festivals puis le mettre en ligne dans quelques années. On aurait aimé le présenter dans des écoles primaires, mais après trois ans sans salaire, on est obligés de recommencer à travailler… Donc c’est impossible.

Ce voyage au milieu des plastiques ne vous a pas découragés?

On peut avoir un discours alarmiste, noir et négatif. Mais grâce à notre voyage – 30 000 km et 17 pays -, on a vu beaucoup de pollution plastique mais aussi plein de super belles choses bien préservées dans la nature. Et voir tout ça donne juste envie de protéger l’environnement. Nous, on montre surtout ça, les beaux paysages et la belle nature. C’est un richesse à protéger.

Le site Internet de Sea The Plastic est en anglais. Mais tu peux aller sur leur page Instagram !