Nina Bachkatov est docteure en science politique et spécialiste de la Russie. Elle a beaucoup étudié la vie et le personnage de Vladimir Poutine. Voici ce qu’elle nous en a dit et ses réponses à des questions de lecteurs du JDE.

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Quand et comment Vladimir Poutine est-il arrivé au pouvoir ?

Poutine est seulement le deuxième président de Russie. Il a été élu en 2000, puis il a fait deux mandats comme prévu par la Constitution (le texte officiel qui dit comment un pays doit fonctionner). Ensuite, il a laissé le poste de président à son Premier ministre, et il est devenu Premier ministre pendant quatre ans. Depuis, il a été réélu dans une situation où les autres candidats n’avaient aucune chance d’apparaître.

Pourquoi ses relations avec les pays de l’Ouest sont mauvaises ?

Au départ, il était perçu comme en faveur de la coopération internationale, y compris avec l’Ouest. Puis, petit à petit, il est devenu obsédé par l’idée que l’Ouest voulait changer la Russie pour en faire une sorte de pays comme chez nous. Il s’est convaincu que l’Ouest voulait mettre la main sur les richesses naturelles de la Russie. Quand l’Union européenne et l’OTAN se sont élargis vers l’est, il a vu tous les gestes des Occidentaux (pays de l’Ouest) comme des attaques pour réduire la puissance de la Russie. La coopération est devenue de plus en plus réduite entre Russes et Occidentaux. Et puis, ils se sont retrouvés dans des camps opposés dans plusieurs conflits, notamment la guerre en Syrie.

On peut dire que c’est un homme fort ? Ou il laisse les gens dire leur désaccord dans son pays ?

Il est tout le temps dans un rapport de force. La victoire revient au plus fort. Maintenant, en Russie, la Constitution prévoit un régime présidentiel fort comme en  France, mais le Parlement russe ne fonctionne pas comme ici. Il n’y a pas vraiment d’opposition parlementaire. Et c’est difficile de dire son désaccord si on apparaît comme une menace pour le président.

Qui a pris la décision d’attaquer l’Ukraine ? Lui seul ? Son gouvernement ou son Parlement  ?

Ça ne peut être que Poutine. Avec qui, on ne le sait pas exactement. Il semble que les hauts gradés militaires n’étaient pas très emballés par cette idée. La Douma (le Parlement russe) ? Dès qu’on a un sujet sensible comme dans ce cas-ci, il n’y a pas de débat. Et dans l’entourage du président, peu de gens osent lui dire ce qu’ils pensent.

Les questions des lecteurs du JDE

Sait-on ce qu’en pensent les Russes ?

« Les Russes », c’est 140 millions d’habitants. Ils ne pensent pas tous la même chose et c’est difficile de connaître leur avis. Nous avons souvent l’opinion des Russes des villes, bien éduqués, d’un certain âge, qui sont convaincus que Poutine a tort, qu’il a coupé la Russie du monde occidental, qu’il a discrédité les Russes pour longtemps, qu’il a divisé deux peuples qui ne faisaient pas de différences entre eux jusqu’à maintenant. Une grande partie ne comprend pas pourquoi les soldats russes vont se battre en Ukraine. Ils voient les cercueils des soldats revenir. En fait, ils sont mieux informés qu’on ne le pense. Ils se parlent au marché, ils se téléphonent… Mais une autre partie de la population rejette les informations qu’ils appellent « antirusses ». Ils ne sont pas fans du système occidental qu’ils disent trop individualiste (centré sur les individus, les personnes, et pas sur la solidarité). Et puis, il y a ceux qui se disent qu’on ne peut rien faire.

Est-ce que Vladimir Poutine est fou ?

Non, c’est trop facile de dire ça. Même si, vu de l’extérieur, ce qu’il fait peut sembler exagéré. Je crois qu’il a perdu le contact avec la réalité parce qu’il est trop isolé. Pendant les deux années covid, il a coupé tous les contacts humains. Ça a favorisé son espèce de rumination sur les menaces sur la Russie.

Peut-on le comparer à Hitler ?

Non, vraiment pas ! Poutine n’a pas de théorie raciale, et selon moi, il n’a pas l’ambition d’étendre le territoire russe ni la volonté de purger une population par un processus industriel comme Hitler. En fait, il est obsédé par la sécurité de la Russie.