Le grand cormoran est une espèce d’oiseaux aquatiques piscivore (qui se nourrit de poissons). Alors qu’il était très peu présent sur notre territoire dans les années 60, il fait désormais «partie des meubles». Chaque année, plusieurs milliers de grands cormorans hivernent en Wallonie. Comment peut-on l’expliquer?

1.Stop à la persécution

«Historiquement, le grand cormoran était une espèce persécutée (traquée), explique Jean-Yves Paquet, le directeur du Département Études chez Aves (Natagora). Car elle faisait concurrence aux pêcheurs et pillait les élevages de poissons. »

L’espèce est devenue protégée, il y a quelques dizaines d’années, car la population européenne menaçait de disparaître.

2.Des plans d’eau

Le grand cormoran a bénéficié de nouveaux milieux aquatiques.

«En Europe, on a créé de nouvelles zones humides: des lacs, des barrages, explique Jean-Yves Paquet. C’est vrai qu’on a asséché certaines zones, mais on en a créé d’autres, comme le barrage de l’Eau d’Heure, par exemple.»

3.Moins d’espèces mais plus de poissons

«À cause de la pollution organique (déchets de matière vivante), tout ce qu’on rejette par les égouts ou par les déchets agricoles finit par se retrouver dans nos eaux libres (les cours d’eau), explique Jean-Yves Paquet. Cela enrichit artificiellement le milieu, comme si l’on y mettait de l’engrais. L’habitat aquatique devient beaucoup trop riche. Cela favorise certains poissons aux dépens d’autres».

C’est ce qui s’appelle l’eutrophisation. Il va donc y avoir moins d’espèces de poissons. Mais celles qui sont favorisées comprennent beaucoup plus d’individus. Ce n’est pas une bonne chose pour la biodiversité (diversité des vivants) mais cela ne pose pas de problème au grand cormoran. Il préfère la quantité à la qualité.

Le grand cormoran a donc réussi à profiter de ce que l’homme a fait à l’environnement. Il s’est adapté et a réussi à «profiter du système».

Révélateur de ce qui se passe sous l’eau

La population de grand cormoran a fortement augmenté en s’adaptant aux évolutions de l’environnement. Sa présence et son absence peuvent donc donner des informations sur l’évolution même de l’environnement.

«On a observé ces derniers temps une grande diminution du nombre de cormorans sur la Meuse, à Namur. explique Jean-Yves Paquet. En investiguant, on s’est rendu compte que l’arrivée d’un mollusque asiatique avait complètement modifié l’écosystème (liens entre les vivants) de la Meuse. Elle a entraîné la chute du plancton, dont se nourrit le gardon (un poisson que mange le grand cormoran) et donc le stock de nourriture du grand cormoran. Le grand cormoran est donc, dans une certaine mesure, parti.»

Étudier la présence des oiseaux permet donc de mettre en évidence des changements qui s’opèrent sous l’eau. Pour observer l’évolution de la population présente chez nous en hiver, deux comptages des grands cormorans sont réalisés chaque année: mi-novembre et mi-janvier.

Oiseaux migrateurs

Le grand cormoran est un oiseau migrateur.

On peut en observer en Belgique toute l’année, mais ce ne sont pas toujours les mêmes individus. Certains se reproduisent chez nous entre la fin de l’hiver et l’été, une partie reste en hiver et une partie part sur les côtes quand ils ont fini de nicher. Les grands cormorans qui migrent chez nous font partie de la sous-espèce des sinensis. Ils viennent du nord de l’Europe et quittent les endroits gelés en permanence pendant la période froide.

La Belgique comprend une variété d’habitats humides assez différents les uns des autres: la Meuse, les grands marais, les rivières,… Le cormoran est arrivé à occuper tous ces habitats.

En hiver, les grands cormorans se rassemblent en dortoir. C’est-à-dire qu’ils se rassemblent pour «passer la nuit» ensemble. C’est le cas de beaucoup d’oiseaux diurnes (qui sont actifs le jour et se reposent la nuit). Les interactions (relations) entre les individus sont très intéressantes à observer. Il y a, par exemple, une hiérarchie (ordre de pouvoir) entre les adultes et les jeunes.

Le cormoran dort perché sur les arbres. Il est arboricole. Avec ses pattes palmées, il n’est pas toujours facile pour lui de s’y installer. Les dortoirs se situent toujours dans des endroits calmes et à proximité d’un plan d’eau.

Adeline Nonet