Depuis le début de la crise du coronavirus, on entend beaucoup parler de résilience. Les pays doivent être résilients, l’économie doit être résiliente, les gens doivent être résilients. Explications avec Bruno Humbeeck, psychopédagogue à l’UMons.

C’est quoi, la résilience?

Si l’on utilise une image, la résilience, c’est l’art de rebondir après un traumatisme. Attention, ce n’est pas quelque chose de simple. Un traumatisme, c’est quelque chose qui nous donnerait l’envie de mourir, de ne pas être né. C’est une situation de laquelle on a l’impression que l’on ne peut pas se sortir. La résilience, c’est donc la manière de dépasser ce qui nous donne envie de mourir, individuellement et collectivement.

Comment se déroule le mécanisme de résilience?

Il y a trois étapes. Tout d’abord, la quête de liens: on se rassemble, on voit que les liens changent, ils se recréent, certains se solidifient, on s’intéresse plus aux univers des autres. Ensuite, il y a la quête de sens: on cherche à trouver le sens de ce que l’on vit, à sortir de l’idée que ce que l’on vit est absurde (pas logique, impossible). C’est ici que l’on voit de nouveaux mots apparaître dans notre vocabulaire. Dans la situation actuelle, confinement ne veut pas dire enfermement, il y a une différence importante. Pour terminer, la troisième étape, c’est la quête de significations: il faut trouver les causes précises qui nous permettent de comprendre ce qui s’est passé. En fonction de notre âge, on va trouver des significations, des causes différentes.

La crise actuelle nous impose-t-elle d’être résilients?

Oui parce que le choc est trop fort. On vit une expérience dont on va tous se souvenir. On ne pourra pas faire comme si rien ne s’était passé. On sera obligé d’être résilient, au moins collectivement et au mieux individuellement. On va devoir tirer des leçons de la situation. Si on recommence à vivre comme avant, à penser que tout cela n’était qu’un incident, on va générer de l’angoisse et se dire «ça va recommencer».

La résilience entraîne donc un changement?

Oui! Une fois que la crise actuelle sera terminée, nous ne serons plus tout à fait les mêmes. C’est le principe d’une résilience bien comprise: on change. On utilise ce qui s’est passé pour réfléchir et agir autrement. Ici, par exemple, on se reconnecte à la nature, on se déplace moins, on prend son temps, on apprend de manière plus autonome, en essayant de travailler et en poser les questions après.

Peut-on travailler sa résilience, essayer de l’améliorer?

Il existe certaines ressources qui permettent de faire preuve de résilience: l’imagination, l’humour, la créativité. Il faut les utiliser. Ce sont des mécanismes qui arrivent à nous faire penser «large» malgré la situation de confinement. Ceux qui les utilisent s’en sortent mieux et s’en sortiront mieux après, aussi. La confiance en soi, des liens forts avec les autres, la capacité de chercher du sens, de la signification, cela aide à être résilient. On n’est pas égaux face à cela.

On entend souvent que les enfants sont plus résilients que les adultes…

Les enfants ont une capacité d’adaptation qui étonne les adultes. On a pu l’observer en temps de guerre. Les adultes ont tendance à rester dans la sidération (ils sont comme «paralysés») alors que les enfants se remettent rapidement à jouer. Un enfant qui joue à la guerre, par exemple, c’est un enfant qui est résilient, il utilise son imagination pour rebondir face au traumatisme. Grâce au jeu, il voit que tout n’est pas source d’angoisse. Pour les adultes, c’est une clé à utiliser. On peut créer des récits, raconter ce que l’on vit, user de créativité. Des leçons de résilience, il y en a aussi beaucoup dans les grands dessins animés de Walt Disney. Les enfants y sont très sensibles même s’ils ne les analysent pas comme telles.

Cela veut dire que les enfants vivent mieux la situation?

Globalement oui. Et les adultes qui pensent que c’est traumatisant à leur place risquent d’ajouter du stress là où il n’y en avait peut-être pas. La suspension de l’école, par exemple, ne rendra pas les enfants bêtes. Ils survivront à quelques mois sans école. L’apprentissage, c’est sur la durée. Pour beaucoup d’enfants, cette suspension est plutôt une bonne nouvelle. Il ne faut pas se mettre de pression, il n’y a pas de traumatisme à redouter.

Mais la situation n’est pas simple pour autant.

Non! Il faut que chacun puisse exprimer ses émotions. On doit se préoccuper de ce que les enfants sont en train vivre. Le confinement n’est pas un moment rempli de joie. Il y a des questions, des tensions et aussi, des émotions. Il est important de se réserver un moment, dans les familles, où l’on peut parler, déposer ses émotions. Une émotion doit être dite et pas contredite. On a le droit de ressentir de la peur, du dégoût, de la colère, de la tristesse. Mais attention, les émotions ne doivent pas devenir toutes puissantes. On aime nos grands-parents, alors on est triste de ne pas les voir. Ça, c’est notre droit. Mais ce n’est pas pour autant qu’on doit aller les voir. On ne va pas les voir parce qu’on les aime. C’est l’amour «paradoxal».