Ce jour-là, quand Liouba Gogol est entrée dans la classe, personne n’a ri. «C’était comme si une averse de neige s’était soudain abattue sur la salle».

La classe venait de voir entrer «la plus belle fille du monde». Alors que tous voudraient détester cette merveille de la nature, ils découvrent que Liouba a aussi toutes les qualités. Elle est intelligente et sympathique. Sa présence va créer des tensions, y compris au sein d’une bande de quatre amis.

Agnès Desarthe, l’auteure, explique: «Ce thème de la beauté m’a toujours paru important et difficile à traiter. Pour les enfants, la beauté n’a pas des critères aussi figés que pour les adultes. Il me semble que, dans l’enfance, le bon et le beau se confondent. Un enfant a besoin d’entendre que son dessin est beau, qu’il est lui-même beau, il dira aussi peut-être que sa maîtresse est belle.»

Liouba, la nouvelle élève, est non seulement belle mais aussi modeste (elle ne se vante pas de ses mérites). Ça n’a pas d’importance pour elle.

Liouba est vraiment modeste, elle a cette qualité. Et c’est cela qui fait sa force. On peut se défendre contre quelqu’un de beau en disant: elle est belle mais elle est stupide, il est beau mais il est prétentieux (il cherche à se mettre en valeur pour des qualités qu’il n’a pas). La beauté peut déclencher la haine ou la jalousie. Alors que la personne en question n’a rien fait pour cela. Ce qui est particulier avec la beauté, c’est que c’est une qualité qui apparaît au premier abord. Les qualités humaines comme l’intelligence, le sens de l’humour… on les découvre chez les gens quand on les fréquente un peu. Tandis que la beauté, elle, est d’emblée visible.

Le sens de la beauté ne varie-t-il pas en fonction de l’époque ou des pays ?

Oui, et heureusement! Il n’y a pas d’absolue beauté. Mais je ne connais pas une civilisation ou une époque dans laquelle un visage complètement déséquilibré soit un signe de beauté. Avoir un œil plus petit que l’autre, cela peut donner un charme incroyable mais le beau est souvent lié à la régularité.

Ceci dit, la beauté n’est pas si intéressante que ça. Le charme a plus d’intérêt. Mais il y a un mystère dans la beauté.

On découvre petit à petit que Liouba a aussi sa fragilité.

On a compris que la beauté de Liouba a créé des tensions dans la classe. Mais on découvre aussi que, même pour Liouba, la beauté n’a pas que des avantages. Elle souffre d’un mal inattendu, surprenant.

Votre livre est plein d’humour et de légèreté. En même temps, vous glissez, mine de rien, des conseils sur la manière d’écrire un roman.

Je me suis dit que c’était le bon endroit pour le faire. Il y a beaucoup d’enfants qui écrivent, souvent en secret, sans le dire à leur entourage. Ils cherchent des conseils. Quand j’interviens dans les classes, des enfants viennent m’en parler discrètement.

Ce livre, vous l’avez écrit il y a dix ans et il vient d’être réédité…

Et j’hésiterais beaucoup à l’écrire aujourd’hui. Une amie anglaise me disait que, dans les pays anglo-saxons, on ne dit plus jamais qu’un enfant est beau. Cela ne se fait pas, car cela veut dire que certains enfants ne sont pas beaux. C’est considéré comme une forme de racisme. Ce serait faire des catégories dans lesquelles certains humains seraient supérieurs à d’autres. J’ignorais tout de cela. Pour moi, la beauté ne donne pas une supériorité aux personnes. Le but du livre est de montrer que la beauté est une qualité comme une autre, qu’elle a aussi ses caractéristiques et ses défauts, ses inconvénients comme n’importe quelle autre qualité. Je suis dès lors ravie qu’il soit réédité.

La plus belle fille du monde. Agnès Desarthe, éd. École des loisirs, 163 p., à partir de 11 ans.