À quoi ressemblait la vie à l’est du mur?

Mon père est né en 1949, il a connu l’époque avant le mur et puis la chute. Il rêvait de voyager, il est photographe. Il rêvait de passer de l’autre côté. II me disait toujours de faire attention quand il y avait des regroupements, de ne pas obéir si on me disait ce que je devais penser. Pour lui, ce qui était difficile, avec le mur, c’était la perte de liberté. On était dans le socialisme (nom donné au communisme en Allemagne). Moi, je n’y pensais pas beaucoup. Je voyais juste les plus grands qui portaient des foulards rouges et des chemises bleues. C’étaient les pionniers, une espèce de mouvement de jeunesse. C’était bien vu d’en faire partie, mais pas obligatoire.

Je vivais avec mes parents et une petite sœur. Tout le monde, du côté est, avait un appartement, un travail et de quoi se nourrir. L’État avait bâti de grands blocs à appartements. Dans les magasins, il n’y avait pas beaucoup de marchandises, juste les aliments de base qui étaient surtout des produits régionaux car importer (faire entrer dans le pays) des bananes ou autre chose en RDA coûtait trop cher. Je me souviens aussi qu’il y avait deux ou trois sortes de maillots différents pour les filles chaque année. Pas plus. On recevait des paquets de café ou des bas nylon de la famille (notamment des cousins) restée à l’Ouest. Je me souviens avoir reçu un paquet avec mes premiers jeans. C’était chic et rare d’avoir un jeans! Comme nous n’avions pas beaucoup de choses, nous ne jetions rien. On pensait qu’il y avait toujours quelqu’un qui pouvait en avoir besoin.

Et puis s’aider, c’était une façon de tenir ensemble. On pouvait quitter la RDA, pour aller par exemple en Pologne, en Bulgarie mais pas en Allemagne de l’Ouest, ni dans les pays du capitalisme comme la France, l’Angleterre… Si les autorités disaient que le mur était une protection, c’était aussi emprisonnant.

Qui, dans votre famille, rêvait d’aller à l’Ouest?

Mon père et ma grand-mère. Celle-ci l’a même fait en 1989, quelques mois avant la chute du mur. Elle avait bien préparé sa fuite. Elle avait reçu une invitation à un mariage à l’Ouest. Elle s’est rendue à la fête et n’est jamais rentrée. C’est longtemps resté un sujet de dispute avec sa mère. Grâce à la chute du mur de Berlin, j’ai pu aller un an au Canada, j’ai pu suivre une formation en Europe et je suis devenue danseuse.