Docteur Slaouti, dans quels pays êtes-vous déjà allé pour Médecins Sans Vacances?

J’ai commencé par Kinshasa, au Congo. Puis je suis allé trois ans dans des hôpitaux de campagne au Rwanda. Et depuis, je vais au Bénin, dans une petite ville très pauvre du nord du pays. Chaque fois, j’y reste deux semaines, deux semaines et demie.

Si vous allez là, cela signifie-t-il qu’il y a trop peu de médecins ou qu’ils sont mal formés en Afrique?

Il y a de ça. Mais il y a, aussi, peu de médecins spécialistes dans les provinces. Ils ont affaire à des pathologies (maladies) très variées et très graves. Même un médecin généraliste chez nous serait complètement dépassé et perdu. Et puis, ils ont peu de moyens.

Comment avoir des conseils pertinents, valables, alors que vous êtes dans un endroit où tout est très différent d’ici, sans technologie médicale, parfois même sans électricité, sans eau potable ni sanitaires…?

Certains conseils n’ont rien à voir avec le matériel. Il y a, par exemple, un manque d’humanisation des soins, comme chez nous il y a 30 ou 50 ans. C’est parfois très rude. Je dis toujours qu’il faut être scientifique avec la maladie et humain avec le malade. Parler à la maman et la rassurer, avoir des mots doux. Un jour, il y avait un enfant de 7 ans qui souffrait d’une péritonite (inflammation du péritoine, dans le ventre). Quand je me suis penché sur la tête de l’enfant pour lui essuyer la sueur du front, le regarder dans les yeux et lui expliquer ce qu’on allait lui faire, avec des petits gestes rassurants, le médecin béninois m’a dit: «C’est des choses qu’on ne fait jamais. On a 90 enfants à voir, on oublie et on est comme des robots

Vous travaillez constamment avec les médecins locaux, je suppose.

Oui, je travaille avec un binôme (deux personnes): deux médecins béninois qui font tout avec moi. On échange sur tout et on cherche ce qui est le mieux.

Quel genre de changements avez-vous suscités?

Un jour, par exemple, j’ai vu un enfant grand brûlé qui hurlait de douleur pendant qu’on le soignait sans antidouleur. J’ai pris en charge cet enfant et j’ai atténué sa douleur avec de la morphine, qu’ils n’avaient pas l’habitude d’utiliser. Après, on a fait une réunion pour faire le point sur le matériel et les pratiques pour les grands brûlés, puis on a organisé une formation pour le personnel.

Autre exemple: en néonat (service pour les bébés), on a des bébés qui naissent avec un (trop) petit poids… 1,2 kg, 1,4 kg, 1,5 kg. Ils n’arrivent pas à garder une bonne température et une respiration régulière. Depuis deux ans, au Bénin, on essaie de proposer aux mamans de garder leur bébé prématuré (né avant le terme de la grossesse) contre elles, en peau à peau, presque 24 h/24. Ça permet au bébé de recevoir la chaleur de la maman. Jusque-là, les mamans restaient dehors, elles dormaient sur le sol en face du service hospitalier, et ne voyaient leur bébé que quelques minutes par jour. Donc, on a ramené des fauteuils un peu confortables sur lesquels elles peuvent rester plusieurs heures, avec leur bébé contre elles. Mais on a aussi formé les équipes sur place à accepter la présence des mamans. Cette année, il y a plus de mamans… et plus de bébés qui prennent du poids!

Comment les médecins africains vous reçoivent-ils?

C’est un accueil très chaleureux. Ils demandent des formations, ils considèrent ça comme une chance. Évidemment, on arrive aussi de manière humble (modeste). Mais il y a des liens de sympathie, de l’entraide, un peu comme les médecins entre eux ici aussi. Parfois, on fait appel à un collègue plus expérimenté dans une pathologie précise pour lui demander conseil.

Vous êtes parfois découragé par les choses dures qui se passent là?

C’est pas facile, c’est sûr que parfois, on craque. Voir des enfants mourir chaque jour, c’est terrible. On se sent parfois complètement inutile par rapport à la masse de travail et au nombre de décès et de maladies graves. Mais en restant humains, avec le bon sens et le bon cœur, on peut changer des choses. On peut penser globalement, et agir localement. Et même si ce n’est pas assez, on doit continuer chacun à faire ce qu’on a à faire.