Benoit Micolon vient de poser son Boeing en provenance de Shanghai sur le tarmac de l’aéroport de Liège. Sa journée de travail est finie. Il arrive tout sourire et nous parle de son nouveau projet…

«Ce projet, je le monte avec un ami, José, que j’ai rencontré il y a une quinzaine d’années à l’école de pilotes. Lui, il travaille dans l’humanitaire (venir en aide aux populations). Moi, je suis pilote de ligne (pour piloter des gros avions qui voyagent d’un pays à l’autre). En janvier, il m’a appelé et m’a expliqué que des gens quittaient la côte de Libye (nord de l’Afrique) sur des embarcations bricolées. Ces gens viennent de partout en Afrique, sont en voyage depuis des mois, parfois des années, et veulent tenter de rejoindre l’Europe. Mon ami, qui travaille en Afrique depuis 25 ans, connaît les raisons pour lesquelles ces gens quittent leur pays. Et il me dit que les petites embarcations qui partent de Libye ne peuvent pas traverser la Méditerranée. Ce sont des bateaux souvent gonflables, avec entre 80 et 150 personnes à bord sur des bateaux qui pourraient contenir 20 à 30 personnes normalement. Ils quittent les côtes en pleine nuit et puis au bout de 20 ou 50 km, le moteur s’arrête parce qu’il n’y a plus d’essence. Ou le boudin se dégonfle et le bateau coule. Et ces gens ne savent généralement pas nager… Donc, ils meurent.»

Un petit colibri

«Heureusement, il y a des gens, regroupés dans une dizaine d’associations, qui leur viennent en aide, avec des bateaux. Le problème, c’est qu’ils ne repèrent pas facilement les embarcations avec des jumelles.

Mon ami José a eu l’idée de les aider avec un avion! On voit mieux et plus loin depuis le ciel, et on va plus vite. »

Les deux hommes contactent les organisations sur place, qui se disent très intéressées. Ils réunissent donc leurs économies et achètent un petit avion! Ils l’appellent le Colibri.

«Une légende amérindienne (des Indiens d’Amérique) raconte que lors d’un gros feu de forêt, tous les animaux s’enfuyaient pour échapper aux flammes. Mais un colibri, un tout petit oiseau, allait chercher des gouttes d’eau dans une rivière pour essayer d’éteindre le feu. À un animal qui lui faisait remarquer que ses petites gouttes d’eau n’allaient pas venir à bout des flammes, il a répondu: «Je sais, mais je fais ma part»… On est dans ce même esprit. On sait qu’on ne va pas sauver tout le monde, mais on fait notre part

Premiers vols

Lors des deux premières missions, en mai, le Colibri a volé pendant sept heures chaque fois. Les pilotes ont repéré deux embarcations et ont aidé à sauver deux fois une centaine de personnes.

«Si les embarcations sont dans les eaux libyennes, jusqu’à 20 km des côtes, ce sont les garde-côtes (qui surveillent les côtes) libyens qui vont les chercher et les ramènent en Libye. Ça, c’est un énorme problème, car c’est un pays très dangereux. Si le bateau est dans les eaux internationales, à plus de 20 km de la côte, on prévient le MRCC (centre de coordination des secours en mer) qui se trouve en Italie. C’est lui qui envoie un navire sur place. Normalement, les personnes secourues sont amenées en Italie. Là, elles sont prises en charge et peuvent demander l’asile (le droit de rester vivre là).»

En pratique, comment font-ils?

Repérer des petits bateaux depuis un avion, est-ce simple?

«On est deux ou trois dans l’avion. Le pilote ne fait que piloter et il y a un ou deux observateurs qui regardent, et qui communiquent avec les bateaux de secours et le MRCC. On vole à environ 500 m d’altitude. On regarde à l’œil nu et si on voit une ombre au loin, on regarde avec des jumelles. »

Les bateaux de secours n’ont pas de radar?

«Certains, oui. Mais le bateau qui cherche des embarcations voit des centaines de points sur son écran radar. Et il ne sait pas si un point représente une bouée, un bateau de pêche ou une embarcation avec des migrants. Il ne peut pas aller vérifier chaque point, ça lui prendrait trop de temps. Par contre, si un bateau de secours a une info sur le fait qu’il y aurait peut-être quelque chose quelque part, il communique avec nous et, en avion, on peut aller voir de quoi il s’agit. Nous, il nous faut 20 minutes quand il leur faut trois heures en bateau. On peut alors donner des informations pour organiser les secours: le nombre de passagers, l’état de l’embarcation…»

Le Colibri est le deuxième avion à faire ce type de travail bénévole (personne n’est payé, c’est un service que des pilotes et des observateurs veulent offrir). Le premier est un avion suisse.

L’idée de José et Benoit séduit beaucoup de monde. Des pilotes et des candidats observateurs proposent leurs services et de nombreuses personnes versent de l’argent pour payer le carburant et les frais. Parfois même un euro par mois. La petite goutte du colibri…

www.pilotes-volontaires.org