Tandis que les deux petits frères jouent dans un coin, les trois «grands» de la famille nous accueillent avec leur maman chez eux, à Ellezelles (Ath, Hainaut). L’accueil de migrants est récent pour eux, mais il a pris beaucoup d’importance. Ils se souviennent de la première fois…

« J’avais un petit peu peur d’être avec des inconnus», avoue Achille, un peu gêné d’avoir eu ce sentiment à l’époque. «Maman est revenue du parc Maximilien (Bruxelles) avec trois Éthiopiens (habitants d’Éthiopie, Afrique) à 11 h du soir, raconte Zélie. Ils ont demandé le code WiFi pour communiquer avec leur famille et leurs amis. Puis ils ont mangé et ils ont dormi. » Achille ajoute: « Ils ont dormi jusque midi le lendemain! Ils étaient fatigués. C’est normal, ils passent toute la journée dehors, et même parfois la nuit s’ils ne sont pas hébergés

Pourquoi être partis?

C’est donc au retour de l’école que les enfants font connaissance avec leurs premiers «amigrants» (amis-migrants). «J’ai demandé pourquoi ils avaient dû venir en Belgique, raconte Rachel. Ils ont répondu que les droits de l’homme ne sont pas respectés en Éthiopie et qu’ils pouvaient se faire arrêter et tuer. Les deux plus jeunes sont partis de leur pays depuis trois ans, alors qu’ils avaient 14 et 16 ans. Ils sont en Europe depuis 14 mois. Le troisième est parti il y a un an et deux mois. Ils veulent aller en Angleterre parce qu’ils pensent y avoir plus facilement des papiers (documents officiels qui permettent de rester dans un pays), trouver du travail, gagner des sous pour faire venir leur famille...»

Les enfants ont été spécialement émus par Adam, qui a dû quitter sa femme et son fils de 5 ans. « Il a dit qu’ils lui manquaient beaucoup.» Rachel explique: « Il veut monter en cachette dans un camion qui va dans un bateau pour l’Angleterre

Ces trois premiers invités sont restés trois jours. Trop court, pour Ignace: «C’est dommage, parce que j’ai pas pu jouer beaucoup avec eux. » Il y a quand même eu une bataille d’eau mémorable dans le jardin !

La semaine suivante, la famille a accueilli trois Érythréens. Zélie explique: «Les Éthiopiens parlaient l’amharique, une des 84 langues, je crois, de leur pays. Les Érythréens, eux, parlaient tigrinya. J’ai appris à écrire mon prénom avec leur alphabet. Ils sont restés trois jours aussi. Il y avait une femme et deux hommes. Eux, ils restaient plus dans leur chambre. On ne sait pas pourquoi. Peut-être qu’ils étaient très fatigués. Ou qu’ils étaient timides

Ça nous fait grandir

Les enfants réfléchissent avec leur maman pour tenter de comprendre cette attitude, cette discrétion. Ça ne doit pas être facile de se retrouver tout le temps chez des personnes différentes, inconnues, qui parlent une autre langue… Rachel avoue: «Ça me gêne quand même qu’on ait une grande maison et un jardin. Par rapport à eux… », «Oui, lance Zélie. Quand ils ont vu qu’on avait deux voitures, ils ont dit: ‘Vous êtes riches!’ » Les enfants ont pris conscience de leur chance…

Rachel reprend la parole: «En fait, je trouvais que c’était bien d’aider, mais c’est différent de ce que je pensais. Je vois les choses autrement, maintenant. Quand ils sont partis, j’ai pleuré alors qu’ils n’étaient restés que trois jours. C’est touchant, ces rencontres. Rien que les voir sourire, c’est marquant, ça nous touche parce qu’on sait qu’ils ont tellement de problèmes. »

Les enfants ont parlé de leurs amigrants autour d’eux, mais pas avec n’importe qui. Certaines copines ne comprendraient pas, pense Rachel. Et parfois, les réactions sont blessantes ou incompréhensibles pour eux. Des personnes critiquent les migrants et les jugent, les soupçonnent de pouvoir voler ou les accusent même parfois d’avoir un lien avec les terroristes! Certains trouvent que les migrants devraient rester chez eux, sauf si vraiment il y a la guerre. «Mais qui quitterait son pays pour un petit rien?, demande Zélie. Les gens doivent comprendre que c’est vraiment difficile de partir et que s’ils le font, c’est qu’ils n’ont pas le choix.»

Zélie conclut: «Ça m’a fait grandir, ces hébergements. On se rend compte qu’on a beaucoup de choses et qu’on râle toujours. Alors qu’eux ils n’ont rien, et ils sont souriants. Tout ce qu’ils cherchent, c’est le bonheur. » Rachel confirme: «On est riches, on veut toujours vivre mieux, avoir des vacances… Eux, ils veulent juste vivre, pas mourir