Casque sur les oreilles, debout devant un micro, Marie regarde l’écran et prévient Martin, l’ingénieur du son : « Je fais la ministre ». Derrière son ordinateur et sa console, Martin opine de la tête et lance la séquence.
La séquence vidéo avance, du texte défile en dessous. Le regard de Marie va de l’un à l’autre. Dès que le texte de la ministre franchit le trait rouge, Marie prend une voix sévère et lit : « Bonjour, je suis la ministre de… » avant de s’arrêter deux secondes plus tard. Elle regarde Martin : « J’ai trop de mots, ça n’entre pas ! Je réessaie… »

Du français sur des bouches israéliennes ou japonaises

Ce que Marie et ses collègues doublent aujourd’hui, c’est la saison 4 de Spyders, une série israélienne qui passe sur Nickelodéon. Leur mission ? Enregistrer les voix en français, pour diffuser la série dans tous les pays francophones.
Marie nous explique : « Le film est découpé en séquences d’une minute. C’est ce qu’on appelle des boucles. Quelqu’un, le détecteur, a noté dans un programme toutes les ouvertures et fermetures de bouches, les inspirations, respirations… » Ces éléments sont notés en suivant un code : pour une inspiration ou « Hhhh> pour une expiration, par exemple.
Marie poursuit : « L’adaptateur, lui, va regarder le film et placer la traduction en veillant à ce que les mots et les syllabes tombent bien. Il doit surtout faire attention aux p, b, m… qui se marquent fort à l’image. »
Ensuite, les doubleurs entrent en studio et enregistrent les voix. Peuvent-ils modifier le texte français, ou doivent-ils respecter ce qui est écrit ? « Parfois, on modifie parce qu’on se rend compte que la traduction n’est tout à fait correcte, qu’il y a trop de mots, que ça n’entre pas dans la bouche. Dans ce cas, on fait deux versions : celle qu’on a reçue et celle qu’on a adaptée. Évidemment, on ne sait pas toujours vérifier la traduction ! Ça dépend de la langue. On double des films en japonais, en suédois, en russe… »

Marie fait les voix françaises de films étrangers pour la télévision, le cinéma… ÉdA /J. Duchateau

Comment trouver la bonne voix?

Marie doit changer sa voix. Comment trouve-t-elle ce qui colle à un personnage ? « Dans ‘Super Wings’, j’ai le rôle de Jett. Je ne peux pas parler « normalement ». En fait, c’est très étrange, mais il y a une voix qui sort en fonction de l’image que j’ai devant moi. » Il faut garder cette voix de bout en bout, au fil des heures, des mois, des années ! « Je fais Chopper dans ‘One Piece’ depuis 2008. Il gueule beaucoup et ça fait mal à la gorge. Mais je dois garder la même voix, bien sûr. »
Parfois, le doubleur fait plusieurs voix différentes dans un même film : « Les rôles principaux et secondaires sont tenus chacun par un doubleur, normalement. Mais pour tout ce qui est ambiance, conversations de gens dans un café ou en rue, par exemple, on met plusieurs comédiens ensemble. Un même comédien peut aussi prendre en charge plusieurs petits rôles. »
Pour les dialogues, l’idéal est d’enregistrer les voix ensemble, en même temps. C’est plus vivant, plus « vrai ». Mais les comédiens ne sont pas toujours disponibles en même temps pour l’enregistrement. Ils font parfois des voix de dialogues sans entendre les réponses. Ou ils les ont dans le casque.

Des pleurs de bébé aux doux mots de Mamy

Bien sûr, les doubleurs doivent essayer de faire coller les mots aux mouvements de bouches des acteurs. Mais ils doivent aussi interpréter, mettre les bonnes intentions et les émotions dans la voix. Or, ils découvrent les scènes au moment-même ! « Quand on arrive, on ne sait pas ce qu’on va faire. On doit tout de suite se mettre dans le personnage et dans la scène. On regarde une fois la boucle et puis on y va ! C’est fatigant, ça demande beaucoup de concentration, mais on s’amuse. Ce qui est très chouette, c’est que je peux faire des pleurs de bébés, comme un petit garçon, puis comme une jeune fille de 16 ans ou de 25 ans et même la grand-mère. »

Combien de temps faut-il ? 

« Pour le cinéma, on a souvent cinq ou six jours pour faire le film.
Pour un téléfilm, on va mettre entre deux jours et demi et trois jours et demi.
Pour un épisode de 20 minutes, on compte six heures d’enregistrement.
« 

Les enfants peuvent-ils faire du doublage ?

« S’il y a des enfants dans un film en life (pas un dessin animé), en fonction du budget et du temps qu’on a, on va essayer de prendre des enfants. Mais ici, par exemple, on doit enregistrer en journée, en semaine, et ce n’est pas possible de prendre des enfants. Donc, ce sont des doubleurs adultes qui font les voix jeunes. »

Tu aimes le cinéma? On a déjà reçu Lou Lambrecht, une jeune actrice belge, comme Invitée du JDE en classe. On a aussi visité pour toi une école de cascadeurs!