Marie Desplechin est autrice jeunesse. Elle vient de terminer sa série Quartier sensible qui regroupe trois romans : Le ciel de Samir (1997), Babyface (2010) et Pour Lily (2022).

Dans son dernier roman Pour Lily, Marie Desplechin raconte l’histoire d’amitié entre Jérémie et Lily. Jérémie a changé d’école durant l’année. Dans son nouvel établissement, il peine à se faire des amis. Son vélo et son « camion » lui permettent de s’évader. Un jour, il rencontre Lily, une élève de la classe. Ils vivent tous les deux avec leur mère, sans père. Avec ses nouveaux amis, Jérémie tentera de se recréer une famille.

Pour Lily, Marie Desplechin, Ecole des loisirs, coll. Neuf, 184p., à partir de 8ans.

JDE : Pour écrire Quartier sensible, série dont le livre Pour Lily fait partie, vous êtes allée à Amiens (une ville dans le nord de la France).

Marie Desplechin : Trois années de suite, via une association, je me suis retrouvée avec des personnes qui ont des difficultés de lecture. Il y avait des grandes personnes qui ne lisaient pas pour un tas de raisons. Les gens peuvent être analphabètes (qui n’a pas appris à lire et écrire) ou illettrés (qui ne maîtrise pas bien la lecture et l’écriture). Comme je suis auteure jeunesse, je me suis occupée des enfants, dont certains en difficulté.

À Amiens, il n’y a pas de banlieues, ce sont des quartiers qui sont excentrés dans la ville. Ce sont des endroits qui ne ressemblent pas à ces architectures de villes assez denses. Ils sont particuliers du point de vue architectural et au niveau des populations qui y habitent. Globalement ce sont des populations pauvres. Dans mon roman Pour Lily, ce sont des souvenirs de lieux et d’enfants.

JDE : Vous vous êtes inspirée de ces enfants pour des personnages ?

M.D : Il y avait une gamine qui s’appelait Nejma. Je n’ai pas parlé avec elle car elle ne parlait pas, mais elle est comme dans le livre (Babyface) avec son bonnet et l’air fou de rage, massive. J’en ai souvent revu des filles comme ça, surtout dans le RER (un moyen de transport à Paris). C’est un type de gens qui sont malheureux. J’ai seulement croisé cette gamine mais je l’avais en tête en l’écrivant.

JDE : Et de certaines histoires de ces enfants ?

M.D : Non j’ai tout inventé. J’ai juste piqué le nom de Saskia à une jeune fille que je connais.

Après, pour ce qui tourne autour du camion (un des moyens d’évasion de Jérémie), c’est quelque chose dont je rêvais à 30 ans quand j’avais mes enfants. Je voulais partir avec eux en camion. J’aurais dû le faire d’ailleurs. J’ai donné au livre mon rêve de camion.

JDE : Pour vos livres, dont Pour Lily, pourquoi avoir choisi des quartiers relativement pauvres comme lieux où se déroulent les histoires ?

M.D : Ce sont des quartiers qui m’intéressent. C’est passionnant de voir comment les gens vivent là-bas, comment les gens font société (c’est-à-dire les interactions que les personnes ont entre elles) ou bien n’y arrivent pas, en étant justement des gens qui viennent de partout. Et puis, ce sont des endroits que j’aime humainement. Les gens sont plus intéressants qu’ailleurs. Ceux qui se retrouvent à Bobigny (ville de région parisienne, l’autrice a écrit un livre sur cette ville) ont des histoires qui ressemblent à un roman. Tout est surdimensionné, là d’où ils viennent, les épreuves qu’ils ont traversées. C’est de la pure aventure. Et puis, je viens d’une ville populaire, Roubaix (dans le nord de la France), ça a aussi dû jouer.

JDE : Dans Pour Lily, les personnages ont diverses origines. La diversité vous inspire ?

M.D : Bien sûr, je trouve ça plus rigolo. Je viens d’une famille du Nord qui n’a pas bougé depuis le Moyen Âge. L’immigration dans ma famille, c’est une idée abstraite. Dans mon enfance, à l’école il y avait des Polonais, des Italiens. Quand j’étais jeune ado, il y a eu le regroupement familial (un système qui permet à une personne étrangère qui vit dans un pays d’être rejointe par sa famille). Dans les années 70, on a vu arriver les familles.

JDE : Les personnages principaux de Pour Lily, Lily et Jérémie sont des enfants. En tant qu’adulte, comment est-ce que l’on raconte des histoires d’un point de vue d’enfant ?

M.D : C’est que l’on a gardé une trace de cette enfance intérieure. Après il n’y a pas de technique. J’ai sans doute gardé cette capacité-là. Et j’aime bien les enfants, j’aime être avec eux. Ils me font rire.

JDE : Jérémie est un personnage qui a ses phases de violence. Comment est-ce que vous traitez cette violence ?

M.D : Les enfants malheureux sont souvent des enfants violents. Dans le malheur, il y a forcément une dimension de violence. On porte tous de la violence en soi. Je suis quelqu’un qui a une très bonne capacité d’agressivité, de mise en colère. Un des objectifs de l’éducation est de maîtriser, transformer cette violence en quelque chose de paisible. C’est un très bon sujet la violence. Ça vaut le coup d’être traité, surtout dans les banlieues.

JDE : Le thème de la famille est très présent dans votre livre.

M.D : Je trouve qu’un des trucs les plus importants de l’existence c’est de faire une famille.

JDE : Dans vos histoires, vous présentez la vie comme elle est, parfois difficile et injuste. Vous n’avez pas peur d’effrayer le lectorat ?

M.D : Les enfants voient bien la vie comme elle est. Beaucoup traversent des situations dingues, dures. Ils le voient quand les parents s’engueulent, quand les gens se séparent, quand il y a des problèmes de pognon, de logement. On peut utiliser ces éléments-là pour leur dire oui mais regarde, tout ça n’est pas un absolu chaos. Les gens dans cette histoire s’en sortent. Après, on peut aussi leur proposer de la pure fiction imaginaire. Comme ça, ils peuvent s’échapper, découvrir un autre monde meilleur.