Pour Gabriel Ringlet, un rite, c’est quelque chose de très concret. «Si possible, il met tous mes sens en éveil, les yeux, les oreilles… surtout les mains. Et il m’aide à apporter de la douceur, de la beauté, surtout quand je suis triste.

Par exemple, j’avais un chat, Moïse, que j’aimais beaucoup. Il avait si bien accompagné certains de mes chagrins. Un jour, en traversant la rue devant chez moi, il a été renversé par une voiture et il est mort. La jeune conductrice qui l’avait heurté pleurait autant que moi. Alors nous avons décidé, ensemble, de créer, le lendemain, un rite d’adieu à Moïse. J’ai creusé un trou sous un arbre, dans une très belle partie de mon jardin, et j’ai choisi une belle vieille pierre. En procession, avec la conductrice et sa sœur, nous avons déposé Moïse dans le trou.

Lentement, nous avons jeté des pelletées de terre sur lui, et puis nous avons déposé la pierre. La jeune femme avait cueilli quelques fleurs des champs qu’elle a déposées sur la pierre. Et puis nous sommes restés un moment en silence en disant merci à Moïse d’avoir été un si bon compagnon. Et en lui souhaitant un heureux séjour au paradis des chats. Même si ce paradis est en nous…»

Pourquoi a-t-on besoin d’un rite quand arrive un événement (soudain ou attendu) comme la mort?

Quand la mort est attendue (par exemple une personne tout au bout d’une grave maladie), le rite peut être, pour elle et pour ses proches, un véritable encouragement.

Un jour, une petite Clémence de cinq ans m’a aidé à construire un rite pour sa grand-mère qui allait mourir. Avec l’enfant, j’ai déposé, sur une petite table, des pétales de fleurs, un petit récipient avec de l’huile parfumée, une bougie et… un caillou coloré. Nous avons allumé la bougie. Clémence a pris son caillou, qu’elle avait peint elle-même, et elle a caressé les cheveux, le front, le visage, les bras, les mains de sa mamy qui la regardait en souriant. Et puis moi, à mon tour, j’ai caressé le front et les mains de la grand-maman, avec cette huile qui sentait très bon. Clémence et moi, nous avons béni le caillou et l’huile, c’est-à-dire que nous leur avons parlé pour qu’ils fassent du bien. C’est cela, bénir: dire du bien.

Et si la mort surgit soudain, brutalement, le rite est encore plus important pour ceux qui restent. Bien sûr, on va d’abord pleurer, s’embrasser, essayer de se consoler… Mais si je perds brusquement quelqu’un que j’aimais tellement, j’ai besoin de lui dire adieu, je t’aime, avec de belles choses, de beaux objets, des gestes concrets.

Justement, quelles formes ce rite peut-il prendre?

De multiples formes. Par exemple, à la mort de son grand-père, pendant la célébration du dernier adieu, je me suis approché du cercueil avec sa petite fille de quatre ans. Elle a expliqué à l’assemblée (mais oui!) qu’elle se séparait d’une poupée qu’elle aimait beaucoup et l’a déposée sur le cercueil pour qu’elle veille sur son pépé et l’accompagne durant son long chemin.

Pour un garçon de treize ans, tous les copains et copines de sa classe sont venus déposer des plumes de toutes les couleurs sur son cercueil blanc, en lui souhaitant de s’envoler doucement…

Quel rite avez-vous déjà vu réaliser par un enfant confronté à la mort d’un proche?

Un petit garçon dont le grand frère s’était suicidé a dessiné un papillon blessé… Et autour de lui, les grands-parents, les parents, les frères et sœurs, moi-même… à travers quelques mots, un objet ou en silence, nous sommes venus parler au papillon blessé.

Je pense encore à deux filles de 12 et 10 ans, dont le papa s’est tué sur l’autoroute. À la maison, sur la table, elles ont déposé une photo de leur papa. Elles ont entouré la photo de fleurs, de petites branches, de cailloux. Elles ont allumé une bougie et lu un texte qu’elles avaient rédigé pour consoler leur maman. Et puis elles ont chanté – en pleurant – pour leur papa.

Si cela fait peur de penser à la mort, est-ce que le rite peut m’enlever cette peur?

Je le crois, oui. Il peut en tout cas l’atténuer. C’est même une de ses principales fonctions: écarter la peur et apporter de la douceur et de la tendresse. Plus la mort est difficile et plus le rite est important pour en parler et pour l’apprivoiser. Et un rite peut parfois se vivre encore après la mort.