Depuis qu’il a découvert le monde de l’apiculture, Aurélien ne l’a plus quitté. Passionné par les abeilles, il est devenu l’heureux propriétaire de cinq ruchers, qui accueillent une cinquantaine de colonies en tout, et il récoltera cet été encore des dizaines de kilos de miel. Il nous a parlé de sa passion dans le dossier spécial consacré aux abeilles qui accompagnait le JDE du 6 avril 2023.

Son année est rythmée par le cycle de la ruche. Pas question de partir en vacances au printemps ou au début de l’été car il se passe trop de choses dans les ruchers pour être absent. Aujourd’hui, il donne lui-même des cours pour former de nouveaux apiculteurs et a plaisir à partager sa passion avec les camarades de classes de ses filles.

Comment es-tu devenu apiculteur ?

En 2012, on a beaucoup parlé du déclin des abeilles et de leur protection. Ça m’a rendu curieux. Finalement, je n’y connaissais pas grand-chose. Je me suis inscrit dans une école d’apiculture, j’ai suivi la formation qui se déroule environ un dimanche par mois pendant deux ans et je suis devenu complètement passionné par le monde des abeilles.

Qu’est-ce qui t’a plu dans le monde des abeilles ?

J’ai découvert un monde complet et complexe, qui vit très bien sans nous mais avec lequel on peut interagir. Il y a une vraie relation entre l’apiculteur et ses colonies, une relation d’égal à égal. Moi, comparé à elles, je suis une très grosse bête. Mais elles, elles peuvent me piquer. Ça établit les règles du jeu. Une fois, j’ai voulu agir sans être bien préparé et protégé et j’ai essuyé une grosse attaque. J’ai été tellement piqué que j’ai fait une réaction toxique. Si je n’étais pas arrivé à temps à l’hôpital, je serais mort. J’ai droit de vie ou de mort sur mes colonies mais elles ont aussi droit de vie et de mort sur moi. On doit se respecter.

Je suis beaucoup trop passionné pour arrêter

Aurélien

Cette grosse frayeur ne t’a pas arrêté ?

Pas du tout. J’étais et je suis beaucoup trop passionné pour arrêter. Par contre, ça a fait évoluer ma pratique. D’abord, j’ai dû suivre un traitement de désensibilisation pour me mettre en sécurité. Puis, j’ai mis en place toutes les bonnes techniques pour que cela se passe le plus délicatement possible pour moi et pour les abeilles. Donc on y a tous gagné.

Comment se déroule l’année d’un apiculteur ?

L’année apicole (de l’apiculture) se déroule de mars-avril à juillet. C’est la période pendant laquelle l’environnement est le plus fleuri. Ce qui va permettre aux abeilles de se nourrir, de nourrir leurs larves et de commencer à stocker le surplus de ressources pour pouvoir se nourrir toute l’année. Pendant cette période, on a deux récoltes de miel: la récolte de printemps, en mai, et la récolte d’été, en juillet. Une fois la récolte estivale effectuée, on prépare la saison suivante. Au-delà des récoltes, mon travail est de m’assurer que les abeilles ont tout ce dont elles ont besoin pour vivre toute l’année. Je surveille qu’elles aient assez de provisions, j’ajoute des cadres à l’intérieur des ruches pour que les colonies puissent se développer, je dois les surveiller et les traiter contre les parasites et les maladies, je surveille l’essaimage …

C’est quoi, l’essaimage?

Normalement, dans une colonie, il n’y a qu’une seule reine. Mais lorsqu’il y a beaucoup de ressources, la colonie élève plusieurs reines dans le but de créer de nouvelles colonies. À un moment, la « vieille » reine quitte la ruche avec la moitié de la colonie pour aller s’installer ailleurs et laisse une nouvelle reine développer sa propre colonie. L’apiculteur doit surveiller l’essaimage et agir en fonction de s’il souhaite ou non de nouvelles colonies.

Es-tu un grand amateur de miel?

J’aime le miel mais dans ma pratique de l’apiculture, la récolte n’est pas ce que je préfère. Récolter le miel, c’est sympa, c’est festif, mais ce n’est pas mon but en soi. Ce que je préfère, c’est être dans les ruches à travailler avec les abeilles, essayer de comprendre ce qui se passe, voir comment je dois agir. On entend parfois dire qu’on force les abeilles domestiques à produire du miel pour ensuite le leur voler. En réalité, l’abeille, elle s’en fiche de ce que fait l’apiculteur. Fabriquer du miel, c’est son instinct. C’est ce qu’elles font quand elles sont dans de bonnes conditions, avec un bon environnement et une bonne météo. Moi, mon idée, c’est de leur faciliter la vie en ce sens. En m’assurant qu’elles aient un endroit pour vivre, de quoi s’alimenter et qu’elles ne soient pas embêtées par des éléments extérieurs. Et en échange, je pourrai récolter une partie de leur miel.

«Combien d’abeilles ? Je ne m’amuse pas souvent à les compter!
On peut dire que j’ai 40 colonies de 50.000 abeilles et 10 colonies de 30.000 abeilles. »

Aurélien

Quel matériel utilises-tu pour visiter les ruches?

J’ai une combinaison complète avec un voile pour me protéger. Et un enfumoir. La fumée va brouiller la communication entre les abeilles, qui communiquent par les odeurs. Donc quand la première abeille va essayer de prévenir les autres de ma présence, la communication sera bloquée. Aussi, quand l’abeille croit qu’il va y avoir un incendie, elle ne pense pas à attaquer mais plutôt à bien se nourrir pour avoir l’énergie de créer une nouvelle colonie si elle devait quitter les lieux. Donc elles me laissent tranquille.

L'enfumoir permet de brouiller la communication entre les abeilles.

Partages-tu cette passion pour les abeilles avec les membres de ta famille?

Mes trois filles adorent m’accompagner. Elles ont chacune une combinaison adaptée. Au début, elles observaient mais maintenant qu’elles ont grandi, elles participent et travaillent aussi bien que moi. Au moment de la récolte, ce sont les premières à venir dans la miellerie pour gouter le miel dès la sortie de l’extracteur. L’extracteur, c’est une sorte d’essoreuse à salade géante dans laquelle on met les cadres de miel desquels on a retiré les opercules. Ça tourne et, grâce à la force centrifuge, le miel sort des cadres, coule le long des parois et on le récupère.

Dis-nous tout, comment les abeilles font-elles le miel?

Lorsqu’elles butinent, les abeilles aspirent le nectar des fleurs. De retour à la ruche, elles passent ce nectar à une autre abeille qui le passe à une autre et ainsi de suite. Cette transmission répétée transforme le nectar et cela devient du miel. Le miel va avoir une couleur, un goût et une texture différents en fonction des plantes butinées. Le gout, c’est le travail de l’abeille. La texture, c’est le travail de l’apiculteur qui doit travailler le miel pour éviter qu’il durcisse trop.

Mais le miel n’est pas le seul produit de la ruche que l’on récolte. On récolte aussi le pollen. C’est la source de protéines des abeilles et on peut aussi en manger. Ça a un goût très floral. On récolte aussi la cire, produite par les abeilles pour fermer les alvéoles pleines de miel. On peut s’en servir pour faire des bougies, des baumes à lèvres mais aussi pour enduire des emballages réutilisables. On peut également récolter de la propolis, un mélange de résine d’arbre et de cire qui leur sert de mortier antiseptique pour assainir la ruche.

Quel serait ton souhait pour le futur?

De pouvoir continuer de vivre cette activité passionnante. J’espère que l’on va pouvoir aider l’abeille à être en phase avec l’environnement dans lequel elle est. La protéger n’est pas si évident. Ce n’est pas en élevant quelques colonies qu’on va sauver les abeilles. Il faut surtout sauver l’environnement. A mon niveau, je me dis que mes abeilles sont un outil pour la nature. Elles vont polliniser les fleurs aux alentours, permettre aux arbres de produire de plus beaux fruits, cela va participer à la chaîne alimentaire d’autres êtres vivants. Je pense aussi important de continuer le travail de communication. L’abeille est un élément visible de l’état de l’environnement. Mais elle n’est pas la seule à souffrir. Ce qu’il faut, c’est sauver tout l’environnement. Pas seulement une abeille qu’on aime bien parce qu’elle fait du miel.