Christine Mahy est Secrétaire générale et politique du  Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. Les élèves de 5e et 6e primaires de l’école communale de Rendeux ont reçu sa visite et lui ont posé une vingtaine de questions.

Qu’entend-on par pauvreté ? Quels sont les critères qui la définissent ?

J’aime bien dire que les personnes qui vivent dans la pauvreté vivent dans le « trop peu de tout ».

Si on n’a pas un bon logement, s’il y fait froid, qu’il est humide ou trop petit, ou si c’est un logement qu’on chauffe difficilement parce que les fenêtres ne sont plus bonnes ou que le toit est trop vieux… Si on n’a pas assez d’argent pour faire évoluer ça… C’est le « trop peu » pour avoir un logement de qualité.

C’est pas facile non plus si le logement est loin de tout et qu’on a besoin d’une voiture, mais qu’on n’a pas d’argent pour ça. On a trop peu pour se déplacer.

On peut aussi avoir trop peu pour pouvoir aller à des activités culturelles ou sportives, parce qu’il y a plusieurs enfants et qu’on ne peut pas payer le club sportif à tout le monde, ou que c’est difficile de payer les vêtements de sport…

Et il y a parfois des enfants qui sont dans le « trop peu » de pouvoir faire la fête avec d’autres enfants : il y a un anniversaire mais on n’a pas les moyens d’inviter les copains et les copines. Et parfois, on a des copains qui invitent à une fête mais on ne va pas y aller parce qu’on sait qu’on ne pourra pas inviter en retour ou offrir un petit cadeau. Peut-être que ça arrive à certains d’entre vous mais qu’ils le gardent à l’intérieur d’eux parce que c’est des choses qu’on ne veut pas dire. Et c’est normal de vouloir se montrer fort et de ne pas révéler ce qui est très difficile. Donc, quand ça arrive, on n’ose pas le dire, mais ça fait mal.

Ce « trop peu » de beaucoup de choses qui s’accumulent oblige à organiser sa vie autrement que ceux qui ne sont pas dans ce « trop peu de tout ». Et c’est un gros effort parce qu’il faut tout le temps chercher des solutions, essayer de faire bonne figure…

En Wallonie, aujourd’hui, les statistiques disent qu’il y a 25%, donc un quart de la population, qui vit difficilement.

M. Golinvaux

Quelles sont vos sources d’information concernant la pauvreté?

Notre principale source, au Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, c’est les gens qui vivent dans le « trop peu de tout ». On les rencontre chez eux, ou dans des associations qui les aident. Par exemple, il y a des gens qui n’ont pas assez d’argent pour acheter à manger tous les jours. Alors, ils vont au Restaurant du coeur ou dans des associations où on leur donne des colis de nourriture. On va donc les rencontrer et ils nous expliquent leur vie, ce qu’ils essaient de faire pour arriver quand même à manger, à mettre leurs enfants à l’école, à se soigner,… On les écoute. On leur fait confiance. Bien sûr, parfois, certains ont fait des gaffes. Mais vous savez, tout le monde en fait. Le problème, c’est que quand on fait des gaffes et qu’on est déjà dans beaucoup de difficultés, les gaffes laissent des conséquences plus graves. Or, dans la vie, on fait tous des choses bien, mais aussi des erreurs, des mauvais choix. Et quand on est dans la pauvreté, c’est plus difficile à dépasser parce qu’on a moins de force, moins de points d’appui, moins de confiance en soi…

Une autre source d’information, c’est les statistiques. Les autorités de notre pays s’organisent pour avoir des chiffres, pour mesurer la situation, en Belgique mais aussi au niveau de l’Europe, et au niveau des Régions. Donc on peut mesurer la précarité énergétique, par exemple: quel pourcentage de personnes ne savent pas avoir assez d’énergie pour se chauffer, cuisiner, éclairer, recharger les GSM et les ordinateurs et quel pourcentage ont difficile à payer leur facture? Quel pourcentage de personnes ont du mal à avoir de l’eau tous les jours et à la payer ?

Et puis on travaille aussi avec d’autres associations. Par exemple, les associations qui distribuent l’aide alimentaire. Elles ont aussi des informations et des chiffres. Pour le moment, elles nous disent qu’il y a de plus en plus de gens qui viennent. Donc en Belgique, malheureusement, il y a de plus en plus de gens qui n’ont pas assez à manger et qui doivent aller chercher à manger quelque part où on va leur donner. Et ça c’est vrai partout, pas seulement en ville. Mais on peut se battre pour changer ça. Et on peut, dans tous les métiers, toujours se demander: « Est-ce que je laisse des portes ouvertes pour me rendre compte de celui qu’il faudra peut-être soutenir plus, parce qu’il se bat pour vivre malgré la pauvreté? ».

EdA/ M. Golinvaux

Aujourd’hui, qu’est-ce qui cause le plus de pauvreté?

Les inégalités. Le fait que certaines personnes ne reçoivent pas la même chose que les autres et ne sont pas aidées en fonction de ce que seraient leurs besoins. Donc, dans les inégalités, il y a un problème de revenus. Des personnes âgées qui ont une pension trop basse, ou des personnes qui travaillent mais qui reçoivent trop peu d’argent.

Le deuxième gros problème, c’est le logement. Ce n’est pas facile de trouver un bon logement qui ne coûte pas très cher, de bonne qualité, assez grand… Et donc, si on ne trouve qu’un logement cher, ça prend une grande partie des revenus. Et il faut encore payer l’énergie, les déplacements, les assurances, la mutuelle… Il ne reste pas beaucoup pour manger, pour les loisirs, pour se soigner, etc.

EdA / M. Golinvaux

Est-ce que ce sont les personnes âgées les plus concernées?

Une chose a progressé: autour de 12% des personnes à partir de 65 ans sont concernées par la pauvreté. C’est beaucoup, mais la bonne nouvelle, c’est que ça diminue. Il y a plusieurs années, on dépassait largement les 20%. Pourquoi ça a diminué? Parce que les pensions augmentent. Donc ça s’améliore malgré tout, même si 12% c’est encore énorme. Et il faut continuer à s’occuper de ces 12%! Parfois, il n’y a presque rien dans leur frigo, ou certaines personnes arrêtent de se faire soigner ou décident de ne pas aller acheter un médicament qu’elles devraient prendre. Il y a des personnes âgées qui auraient besoin d’une aide familiale plus souvent à la maison pour nettoyer, pour faire à manger, pour aller faire quelques pas dehors ou pour sortir son petit chien.

Est-ce que le gouvernement et le bourgmestre peuvent faire quelque chose ?

Oui, il y a des choses à faire pour aider les gens à sortir de la pauvreté. Par exemple, depuis janvier, les personnes qui ont un statut BIM, donc qui vivent avec très peu, peuvent mettre les enfants à la crèche gratuitement. Mais il y a beaucoup d’autres choses possibles. Il n’y a pas assez de logements qui ne coûtent pas cher, donc on pourrait agir sur le logement. Ou sur les inégalités.

Mais vous savez, en Belgique, on a plusieurs gouvernements. Le gouvernement fédéral a décidé de réaliser un plan fédéral contre la pauvreté. Le gouvernement wallon a un plan de sortie de la pauvreté. Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a aussi décidé de mettre au point un plan de lutte contre la pauvreté.

Les communes aussi peuvent aider. Dans certaines communes, il y a des aides aux familles pour les enfants qui entrent à l’école, des communes aident les familles à tout acheter: cartables, cahiers… Il y a des communes où on décide que les enfants doivent pouvoir faire un sport et on donne un chèque sport aux familles. J’ai entendu que votre commune payait une partie du prix de votre abonnement au JDE. Dans les communes qui ne paient pas le JDE, seuls les enfants dont les parents peuvent le payer peuvent lire le JDE. Il existe aussi des communes qui mettent en relation les familles entre elles, qui mettent en place des systèmes de solidarité.

Est-ce que quand vous croisez un sans-abri dans la rue, vous lui donnez de l’argent et pourquoi?

J’en croise malheureusement beaucoup. Parfois, je donne de l’argent, parfois pas. Parfois, je paie quelque chose à manger, parfois pas. Par contre, ce que j’essaie de faire, c’est de toujours dire bonjour, de faire un sourire. C’est-à-dire de voir d’abord un homme ou une femme, avant de voir le sans-abri. Le fait de dire bonjour, de lui sourire, vous n’imaginez pas comme certains nous disent que ça fait du bien d’être reconnu comme être humain.

Alors pourquoi parfois je donne, et parfois je ne donne pas? Ça n’a rien à voir avec le fait de me demander ce qu’elle va faire de cet argent. Je lui fais confiance sur ce qu’elle fait avec ce que je lui donne. C’est son choix si elle veut aller s’acheter une bouteille de vin ou une canette de bière, ou un sandwich, ou parfois, garder les petites pièces pour faire un cadeau à quelqu’un. Alors c’est vrai que certains vont s’acheter une bière ou une bouteille de vin et c’est peut-être dommage. Mais vous savez, les journées sont longues dans la rue et s’assommer avec un peu d’alcool pour ne pas voir les heures passer, pour ne plus voir le regard des gens qui jugent, parfois, c’est comme ça qu’on tient. Donc, moi, je donne parfois et je fais confiance à la personne sur le fait qu’elle gère sa survie le mieux qu’elle peut dans les conditions où elle est. Mais je ne dis pas qu’il faut donner absolument.

Il y a juste, je pense, que ce qu’il faut s’enlever de la tête, c’est d’avoir trop de jugement sur « pourquoi il est comme ça? » Vous savez, chacun a une histoire avant d’être sans abri. Il y en a qui ont eu un métier pendant longtemps. Et moi, j’essaie de considérer que ces personnes ont une histoire, et qu’être sans abri est un moment dans leur histoire.